J'aime bien Saint-Séverin, église irrégulière, composite, remaniée.
Aviez-vous remarqué, dans l'article précédent, les soleils des clés de voûte ? Louis-quatorzièmes plutôt que médiévaux, je pense qu'on les doit à la Grande Mademoiselle, cousine germaine de Grand-Louis. Frondeuse assagie, première fortune d'Europe, elle se serait bien vue en Madame Quatorze. Après une longue idylle très mal vue par la famille elle épousera, sur le tard, secrètement, et pas très longtemps, le duc de Lauzun. Extraire ce dernier de la forteresse de Pignerol coûta quelques terres à notre héroïne mais ceci est une autre histoire…
Elle nous éloignerait de notre église que Mademoiselle dota de la chapelle Mansart, une rareté : de plan elliptique, salon autant que chapelle, elle devait permettre une communion plus fréquente, histoire de faire bisquer les jansénistes. Elle est difficile à photographier convenablement, j'ai tout de même tenté le coup :
En sus de cette chapelle et des clés de voûte l'église reçut d'autres ornements au goût du jour, qui n'était pas toujours sobre… la déférence envers les vieilles pierres n'apparaîtrait qu'avec le Romantisme. Au milieu du XIXe siècle l'église fut donc débarrassée de la plupart de ses embellissements hasardeux pour redevenir gothique – gothique flamboyant, tant pis si je me répète.
Le flamboyant n'est pas très aimé des croqueurs de vieilles pierres : trop virtuose, trop démonstratif, aussi profus que du baroque mais sans le sourire… l'épuisement d'un genre, un côté fin de race. Je ne suis pas imperméable aux idées reçues mais elles sont faites pour qu'on les éconduise, et Saint-Séverin est un bon endroit pour changer d'avis. Il faut d'abord reparler de son plan.
La nef centrale, classiquement, mène au chœur. Elle est bordée de deux autres nefs sur chaque côté, on l'a dit, mais ces deux paires de nefs, au lieu de s'arrêter à un transept qui n'existe pas, se raccordent derrière le chœur par un double déambulatoire. De ce fait le plan d'ensemble, au lieu de la majestueuse croix latine nettement structurée, tient plutôt du carré prolongé par un demi-cercle.
Cette disposition incite à faire et refaire tranquillement le tour d'une église peu encombrée de touristes, à chercher les perspectives et les regarder changer d'un pas à l'autre, en se grisant lentement de courbes et de droites.
Doubleaux, formerets, liernes et tiercerons… tout ce vocabulaire de pierre prend vie sans bruit.
Les tailleurs de pierre possédaient pleinement leur art et le prouvaient à l'envi en se passant du repère horizontal que donnent les chapiteaux : les arcs naissent directement du fût des piliers et filent sous la voûte, l'œil ne peut que les suivre.
Je me rappelle qu'un conférencier du Mont Saint-Michel, lors de vacances anciennes, avait le premier fait observer cette disparition des chapiteaux à la fin du gothique – et justement le chanoine d'Estouteville, qui conduisit la reconstruction de Saint-Séverin, irait ensuite au Mont.
Comme on se retrouve…
Il est traditionnel d'évoquer des palmiers à propos de ce déambulatoire. Pourquoi pas ? Dans l'église des Jacobins de Toulouse un autre pilier fameux est aussi surnommé le palmier
, mais je trouve plus juste le mot de ce petit garçon qui visitait l'église avec ses parents : on dirait un feu d'artifice
. Il y a en tout cas quelque chose de vivant, d'organique dans ce rigoureux fouillis d'arcs jaillissant dans la pénombre, on ne serait pas surpris, à peine inquiet, de les voir osciller doucement au rythme d'une respiration… on se prendrait pour Jonas ou Pinocchio dans la baleine.
Dans l'axe de la nef principale, derrière le maître-autel, se trouve la vedette incontestée de Saint-Séverin : le pilier tors
(tordu), specimen accompli du vous allez voir ce que vous allez voir
.
Très violemment éclairé on ne peut pas le manquer, on l'aperçoit dès l'entrée. Pour un peu on imaginerait que c'est lui qui est vénéré ici, un guerrier germain du Ve siècle se sentirait chez lui : le pilier qui soutient le monde, ça rappelle la maison.
Il m'a sauté aux yeux (le pilier, pas le guerrier) la première fois que je suis entré ici, il y a longtemps. Je découvrais Paris en séchant les cours, puis je racontais ces promenades à mon père alité, déclinant, heureux de m'écouter lui parler de sa ville et apprendre à l'aimer. Ce jour-là j'ai brièvement pensé il faudra que je lui en parle
avant de me rappeler que c'était inutile depuis l'été précédent. Enfin bon.
J'aime bien Saint-Séverin.
Il y a de la lecture intéressante sur le site de la paroisse Saint-Séverin que j'ai respectueusement pillé, en plus de mes sources habituelles.
Si vous voulez avoir une idée du travail de fabrication de la photo, suivez le bœuf…
- Saint-Séverin - 1
- Saint-Séverin - 2
- Saint-Séverin - 3