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7 décembre 2009 1 07 /12 /décembre /2009 00:00

J'aime bien Saint-Séverin, église irrégulière, composite, remaniée.

Aviez-vous remarqué, dans l'article précédent, les soleils des clés de voûte ? Louis-quatorzièmes plutôt que médiévaux, je pense qu'on les doit à la Grande Mademoiselle, cousine germaine de Grand-Louis. Frondeuse assagie, première fortune d'Europe, elle se serait bien vue en Madame Quatorze. Après une longue idylle très mal vue par la famille elle épousera, sur le tard, secrètement, et pas très longtemps, le duc de Lauzun. Extraire ce dernier de la forteresse de Pignerol coûta quelques terres à notre héroïne mais ceci est une autre histoire…

Elle nous éloignerait de notre église que Mademoiselle dota de la chapelle Mansart, une rareté : de plan elliptique, salon autant que chapelle, elle devait permettre une communion plus fréquente, histoire de faire bisquer les jansénistes. Elle est difficile à photographier convenablement, j'ai tout de même tenté le coup :

Église Saint-Séverin, la chapelle Mansart (Paris V)

En sus de cette chapelle et des clés de voûte l'église reçut d'autres ornements au goût du jour, qui n'était pas toujours sobre… la déférence envers les vieilles pierres n'apparaîtrait qu'avec le Romantisme. Au milieu du XIXe siècle l'église fut donc débarrassée de la plupart de ses embellissements hasardeux pour redevenir gothique – gothique flamboyant, tant pis si je me répète.

Le flamboyant n'est pas très aimé des croqueurs de vieilles pierres : trop virtuose, trop démonstratif, aussi profus que du baroque mais sans le sourire… l'épuisement d'un genre, un côté fin de race. Je ne suis pas imperméable aux idées reçues mais elles sont faites pour qu'on les éconduise, et Saint-Séverin est un bon endroit pour changer d'avis. Il faut d'abord reparler de son plan.

La nef centrale, classiquement, mène au chœur. Elle est bordée de deux autres nefs sur chaque côté, on l'a dit, mais ces deux paires de nefs, au lieu de s'arrêter à un transept qui n'existe pas, se raccordent derrière le chœur par un double déambulatoire. De ce fait le plan d'ensemble, au lieu de la majestueuse croix latine nettement structurée, tient plutôt du carré prolongé par un demi-cercle.

Église Saint-Séverin, voûte du déambulatoire (Paris V)

Cette disposition incite à faire et refaire tranquillement le tour d'une église peu encombrée de touristes, à chercher les perspectives et les regarder changer d'un pas à l'autre, en se grisant lentement de courbes et de droites.



Église Saint-Séverin, voûte du déambulatoire (Paris V)

Doubleaux, formerets, liernes et tiercerons… tout ce vocabulaire de pierre prend vie sans bruit.

Les tailleurs de pierre possédaient pleinement leur art et le prouvaient à l'envi en se passant du repère horizontal que donnent les chapiteaux : les arcs naissent directement du fût des piliers et filent sous la voûte, l'œil ne peut que les suivre.

Je me rappelle qu'un conférencier du Mont Saint-Michel, lors de vacances anciennes, avait le premier fait observer cette disparition des chapiteaux à la fin du gothique – et justement le chanoine d'Estouteville, qui conduisit la reconstruction de Saint-Séverin, irait ensuite au Mont.

Comme on se retrouve…


Il est traditionnel d'évoquer des palmiers à propos de ce déambulatoire. Pourquoi pas ? Dans l'église des Jacobins de Toulouse un autre pilier fameux est aussi surnommé  le palmier , mais je trouve plus juste le mot de ce petit garçon qui visitait l'église avec ses parents :  on dirait un feu d'artifice . Il y a en tout cas quelque chose de vivant, d'organique dans ce rigoureux fouillis d'arcs jaillissant dans la pénombre, on ne serait pas surpris, à peine inquiet, de les voir osciller doucement au rythme d'une respiration… on se prendrait pour Jonas ou Pinocchio dans la baleine.


Église Saint-Séverin, le pilier tors (Paris V)

Dans l'axe de la nef principale, derrière le maître-autel, se trouve la vedette incontestée de Saint-Séverin : le  pilier tors  (tordu), specimen accompli du  vous allez voir ce que vous allez voir .

Très violemment éclairé on ne peut pas le manquer, on l'aperçoit dès l'entrée. Pour un peu on imaginerait que c'est lui qui est vénéré ici, un guerrier germain du Ve siècle se sentirait chez lui : le pilier qui soutient le monde, ça rappelle la maison.


Il m'a sauté aux yeux (le pilier, pas le guerrier) la première fois que je suis entré ici, il y a longtemps. Je découvrais Paris en séchant les cours, puis je racontais ces promenades à mon père alité, déclinant, heureux de m'écouter lui parler de sa ville et apprendre à l'aimer. Ce jour-là j'ai brièvement pensé  il faudra que je lui en parle  avant de me rappeler que c'était inutile depuis l'été précédent. Enfin bon.

Église Saint-Séverin, vue de nuit (Paris V)

J'aime bien Saint-Séverin.


Il y a de la lecture intéressante sur le site de la paroisse Saint-Séverin que j'ai respectueusement pillé, en plus de mes sources habituelles.


Si vous voulez avoir une idée du travail de fabrication de la photo, suivez le bœuf…


commentaires

R
<br /> ta première photo on dirait une ancienne carte postale<br /> très réussie :-)<br /> <br /> <br />
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W
<br /> Merci pour le compliment :-)<br /> Le plus rigolo est que ce n'est pas fait exprès : il ne s'agit que du "grain" de la "pellicule" (le bruit de fond du capteur de l'appareil) qui ressort beaucoup, parce que cette photo était<br /> monstrueusement sous-exposée, la faute aux lampes qui ont aveuglé le posemètre. En pure technique de prise de vue c'est une photo très médiocre !<br /> Tout l'intérieur de Saint-Séverin est difficile à photographier : l'ambiance, très agréable, de pénombre trouée de lumière conduit à de grands contrastes, difficiles à restituer avec un appareil<br /> numérique - et même avec de la bonne pellicule ce n'est pas du gâteau...<br /> <br /> <br />
C
<br /> Merci beaucoup pour la grande photo !<br /> eh ben, même sur la grande et même en sachant où chercher, c'est absolument invisible, ne chipotez pas... (ou alors c'est fishing etc... alors j'en rajoute volontiers une louche : c'est un<br /> chef-d'oeuvre) (*chuchotte* : et s'il fallait chipoter y a peut-être que le bout de cadre jaune qui fait un peu grand)<br /> <br /> <br />
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M
<br /> bon bon bon... si vous le dites.... :-)<br /> <br /> <br />
C
<br /> alors là, chapeau ! deux photos ?? même en le sachant on ne voit rien, c'est collé où ?<br /> <br /> <br />
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M
<br /> En fait il y en a même trois, par le jeu des recouvrements elles couvrent le champ de deux. Les raccords ? Au bord droit de la fenêtre d'une part, autour de l'orgue et dans le mur au-dessus,<br /> d'autre part. En cherchant bien on doit trouver des choses bizarres dans les chaises et le carrelage...<br /> <br /> <br />
C
<br /> Encore un bel article sensible, merci.<br /> Et la chapelle Mansart, "difficile à photographier convenablement" - eh bien moi je la trouve magnifique cette photo !<br /> (même que je vous la piquerais bien pour me l'encadrer... je peux ?)<br /> On dirait une gravure, ou une peinture hollandaise, que sais-je, je manque de culture - alors si on veut une photo "photo"(j'ai failli dire : bêtement photo) on pourrait chipoter, mais elle est<br /> tellement plus belle ainsi, plus intéressante, plus dans le ton, plus tout, j'en suis baba...<br /> (mais je plains ceux qui ont des grands écrans, faut surtout pas l'agrandir, ça perd tout son effet)<br /> Bonne soirée<br /> <br /> <br />
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M
<br /> Oh ! Une autre amatrice ! et quelle ! :-) :-)<br /> Merci pour la photo... la difficulté vient du manque de recul (la photo en assemble l'équivalent de deux) et de l'éclairage : les spots sont très lumineux et l'on en a inévitablement un dans le<br /> champ. Je crois que je ferai un petit article pour montrer le chemin parcouru.<br /> Reprendre la photo : bien sûr que vous pouvez... Je vous envoie la grande par courriel, vous en ferez ce que vous voudrez.<br /> <br /> <br />
A
<br /> Eh ben alors, comment ça s'fait qu'il n'y ait pas encore de commentaires enthousiastes sous ce splendide billet et ses splendides photos !<br /> <br /> Merci beaucoup pour cette délicieuse visite ! Je refuse absolument d'aller voir le lien, je préfère garder l'illusion que tu sors tout ce savoir d'une érudition sage et ferme, à peine un brin<br /> empoussiérée d'oubli...<br /> <br /> <br />
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M
<br /> Ah, une amatrice ! et quelle ! :-D<br /> Je suis très touché de ton attachement au mythe de mon érudition mais, comment dire, euh... l'inconvénient d'un piédestal, quand on n'est pas en bronze, c'est qu'on se casse la figure au premier<br /> éternuement...<br /> <br /> <br />

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