Petit article instructif et auto-promotionnel.
La photo de la chapelle Mansart ayant eu son petit succès, parler de la fabrication de cette photo peut vous intéresser.
Sans être immense la chapelle est assez vaste. Pour faire percevoir que son plan est ovale il faut donc photographier avec un grand angle de champ, sans quoi on ne verrait qu'un pan de mur vaguement concave. Avec un reflex 24x36 je pense qu'il faudrait un 20mm voire un 17mm pour faire rentrer une scène assez grande. Le zoom de mon appareil (Canon Powershot S2, bon petit appareil mais ne faisant pas de miracles) ne doit pas descendre en-dessous de l'équivalent d'un 35mm, donc petit malaise. Il y a heureusement un palliatif : le mode panoramique
de l'appareil permet de prendre plusieurs photos avec les mêmes réglages de prise de vue, ensuite un logiciel fourni avec l'appareil se charge de recoller les morceaux. C'est moins pratique qu'un vrai grand-angle mais ça m'a souvent rendu service.
Bien. Donc je prends trois photos, à main levée et en tournant la tête, je rentre chez moi et je remonte les photos sur mon PC. Elles ressemblaient à ça :
De gauche à droite : la grande fenêtre, la grande porte d'entrée, l'autel (en cherchant bien vous apercevrez la nappe et les bougies). Votre écran marche très bien ! seulement les lampes de la chapelle, puissantes, ont complètement affolé le posemètre de l'appareil. Soupir… dire que j'étais retourné à Saint-Séverin spécialement pour prendre ces photos.
Dans ces cas-là Irfanview est très utile pour une correction globale de l'image (une correction sur une zone relève davantage d'un logiciel de retouche). De plus, son mode batch garantit d'appliquer la même correction aux trois images, ce qui est essentiel pour leur assemblage ultérieur. Par tâtonnements successifs, j'ai trouvé qu'une très forte augmentation de la luminosité (+117) et du contraste (+109), combinée à une diminution du gamma (0.72) fournissait un résultat décent :
Dans des situations comme celle-là on touche du doigt les contraintes propres au numérique. Sur une pellicule la luminosité (le noircissement du négatif) peut aller du blanc au noir en passant par toutes les valeurs intermédiaires (en nombre infini : la variation est continue). Avec un capteur numérique le noir est représenté par zéro, le blanc par un entier positif, et la luminosité ne peut prendre que les valeurs entières intermédiaires (en nombre fini : la variation est discrète). Disons, pour fixer les idées, que noir = 0 et blanc = 255 (en réalité je n'en sais rien).
Une photo bien exposée utilise une bonne partie de cette plage (200 valeurs différentes utilisées, mettons) et le résultat visuel est modelé, agréable à l'œil. Dans des photos pourries (comme celles-ci) une petite partie des pixels frôle ou atteint les 255 (les lumières vives), et tout le reste vivote dans la partie basse de l'échelle, peut-être les premiers 10% de la plage, soit vingt-cinq valeurs différentes (inversement un négatif mal exposé proposera toujours une quasi-infinité de valeurs, bien que dans un intervalle tout aussi faible). Tous les traitements imaginables ne pourront au mieux que modifier ces vingt-cinq valeurs, pas en créer une vingt-sixième.
Donc, premièrement, la photo (numérique) corrigée manquera de nuances ; ça, c'est irrémédiable. Deuxièmement, corriger une telle photo demande des doigt de fée : quelques points de luminosité ou de contraste en plus ou en moins suffisent pour basculer soudain dans la bouillie blanchâtre. En effet si on pousse trop loin on crève le plafond
: les valeurs les plus hautes sont toutes arasées
au maximum de 255 et l'on ne conserve plus que, peut-être, vingt valeurs différentes. Ce qui signifie que 20% des nuances (cinq sur vingt-cinq) ont disparu. Bref : il faut savoir ne pas se presser et noter ses essais successifs.
À peu près toutes les photos prises à l'intérieur de Saint-Séverin ont demandé ce genre de correction, avec dans certains cas la complication supplémentaire de devoir restituer des zones très sombres et d'autres très éclairées. Regardez la photo du pilier tors
, un jour je vous montrerai l'original…
La géométrie maintenant. Il faut raccorder ces trois photos et ce n'est pas gagné d'avance.
Un point facile à comprendre : quand on tourne la tête, quand on change la direction du regard, les parallèles ne le sont plus, les rectangles deviennent des trapèzes, les cercles des ellipses, et ainsi de suite. Corriger la perspective, faire comme si la photo de gauche et celle de droite avaient été prises en visant la porte du centre, comme si ces photos étaient les bords d'une plus grande image (celle qu'on veut fabriquer) est un problème résolu depuis la Renaissance. Il s'agit de mathématiques bourrin et tous les logiciels de retouche tant soit peu étoffés savent déformer un rectangle.
Dans le cas présent j'ai commencé par mettre d'aplomb la photo centrale (un degré ou deux de rotation) et je n'y ai plus touché, postulant qu'elle me fournissait le point de vue de référence. J'ai alors trapézoïdé
les deux autres pour que leur partie commune avec la photo du centre soit superposable à cette photo du centre. Voilà pourquoi il est important que les photos composant un panoramique aient d'assez grands recouvrements.
Ce qui nous conduit au deuxième point, beaucoup plus vicieux : le changement de point de vue. Si, précisément, on avait pu prendre les trois photos en une seule grande, on aurait pris ces trois photos d'un seul et même point de vue : celui de l'appareil. Pour prendre plusieurs photos en travaillant soigneusement on monte l'appareil sur un trépied, en le fixant à une tête panoramique
, un accessoire permettant de le faire tourner autour de son point de vue
, son centre optique – à peu près le centre du diaphragme pour un objectif à focale fixe.
Dans cette chapelle le bi-pied
de l'appareil c'était moi et sa tête panoramique, mes vertèbres cervicales. Faites un essai simple : assis-e dans une pièce regardez par la fenêtre et repérez ce qui est à un bord de la fenêtre. Tournez la tête : derrière la fenêtre le paysage a bougé, les alignements ont changé. Ceci parce que vous avez tourné toute la tête et pas seulement l'œil dans son orbite (en toute rigueur il faudrait même tourner autour du centre du cristallin, pas celui du globe oculaire). Donc, dans un panoramique
fait à l'estime, tel que celui-ci, les alignements changent légèrement d'une photo à l'autre, sans compter que l'appareil ne peut pas être tenu rigoureusement droit pendant qu'on tourne : la porte prend une gîte sensible d'une photo à l'autre.
Si donc votre œil avait pris une photo quand vous aviez la tête à gauche et une quand vous l'aviez à droite, vous auriez commencé par les trapézoïder
un peu avant de les raccorder, histoire qu'une ligne droite garde son cap en passant d'une photo à l'autre : ça, c'est les mathématiques Renaissance. Ensuite vous auriez superposé leur partie commune et vous vous seriez gratté le crâne : l'immeuble au bord de la fenêtre sur une photo n'est pas au bord sur l'autre. Donc vous auriez décidé de tricher, prendre par exemple le montant de fenêtre sur une photo et le paysage sur l'autre. Ici c'est pareil et il a fallu tricher, en logeant les raccords dans la maçonnerie ou dans des zones sombres et, par exemple, surtout pas au beau milieu de l'orgue.
Le logiciel d'assemblage des photos livré avec l'appareil, s'il sait déformer les images et les mixer dans les zones de recouvrement, reste impuissant contre le changement de point de vue. Il donne de bons résultats si on photographie le ciel sans avant-plan (à l'infini, les questions d'alignement disparaissent…) ou la verte nature (une feuille en plus ou en moins dans la forêt, ma foi…), mais fournit souvent de l'architecture bancale. Il est néanmoins utile (et rapide) de faire au moins un essai avec, pour avoir une première idée des déformations à appliquer.
Voilà le résultat, après déformations, raccords et tricheries :
Si on cherche bien on verra que la corniche du haut est un peu irrégulière à un endroit, que les motifs du carrelage ne sont pas très bien alignés, que sans doute les rangées de chaises à gauche devraient diverger davantage. Mais bon, le résultat est tout de même potable.
Il ne reste plus qu'à retoucher encore une fois, peut-être, l'exposition (avec doigté !), et rogner le tout pour le faire rentrer dans un rectangle.
Il y a tout de même une ou deux bonnes soirées de travail là-dessus, et ce n'est pas ma première tentative. Rétrospectivement, je me dis qu'il fallait être inconscient pour se lancer dans certaines compositions publiées ici…