Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
29 février 2008 5 29 /02 /février /2008 00:00

Je suis dans une période lugdunoferroviobsessionnelle, semble-t-il. Retour à la gare de Lyon, donc, après ce précédent article.

Comme toutes les grandes gares parisiennes, l'édifice actuel n'est pas le premier. L'  embarcadère  du chemin de fer de Paris à Lyon est né, en 1849, sous la forme d'une simple baraque de planches. Joli mot d'aventure que cet  embarcadère  désormais revenu au seul transport sur l'eau – et puisqu'on  navigue  dans un site ou sur la toile, peut-être rebaptiserai-je  Embarquement  le lien vers l'accueil ?

Tant que j'y suis, il faut aussi que je vous raconte un autre goûteux échange entre le fer et l'eau : l'endroit où un fleuve s'élargit assez pour que les bateaux puissent s'y croiser en sécurité, s'y garer, s'appelle une  gare  – et c'est le sens original du mot. Lorsqu'une bonne partie du trafic de Paris se faisait sur la Seine, il y avait sur la rive gauche à l'entrée de Paris, peu avant le Jardin du Roi – devenu Jardin des Plantes – une telle  gare d'eau  ; l'actuelle gare de Lyon, sur la rive droite, se dresse à peu près en face. Quand la compagnie du chemin de fer de Paris à Orléans a édifié son embarcadère principal, elle a choisi cet endroit, le voisinage de cette  gare d'eau  pour y bâtir son embarcadère. Si bien que la gare d'Austerlitz se dresse le long d'un  Quai de la Gare  … qui portait ce nom bien avant de voir passer des locomotives.

Retraversons la Seine par le pont Charles-de-Gaulle et retrouvons l'horloge de la Gare de Lyon. En 1849, donc, des planches provisoires, juste en face de la prison Mazas, sur le boulevard du même nom (devenu Diderot depuis) : chouette voisinage, que la compagnie acceptait, de mauvaise grâce sans doute, parce qu'elle espérait pouvoir pousser ses voies jusqu'à la Bastille en suivant l'actuelle rue de Lyon.

La prison est restée à sa place, le projet de prolongement est tombé à l'eau, et la compagnie s'est résignée à faire de la pierre en 1855. Cette première gare de Lyon ne comportait que 5 voies (petit bras, non ?), elle a tout de même fourni quarante ans de loyaux services.

Arrive 1900, l'Expo Universelle, la première ligne de métro : on attend du monde, beaucoup, cinq voies seraient du dernier mesquin. Le PLM frappe donc un grand coup et reconstruit complètement sa gare, en passant de 5 à 13 voies. Bonheur supplémentaire, cette fois la prison disparaît, non sans avoir autrefois vu passer un jeune agitateur nommé Clemenceau – républicain sous le second Empire n'allait pas sans risques.

En ces temps pré-essenncéfiques le transport ferroviaire était affaire privée, concédée par l'État à des compagnies d'envergure nationale ou locale. Le trafic national se répartissait entre six compagnies (Nord, Ouest, Est, Paris-Orléans, Midi, PLM) exploitant chacune son réseau. À part la compagnie du Midi, toutes avaient leur tête de réseau à Paris. Ces gares parisiennes étaient donc des lieux de passage, des sièges sociaux et des arguments commerciaux de premier ordre dans la concurrence débridée que se livraient les compagnies.

La gare de Lyon, évidemment, sert d'abord à prendre le train ou en sortir. Son deuxième rôle, aussi évident, est de permettre l'administration d'un réseau considérable. Mais elle veut, de plus, tout à la fois séduire le client, manifester la puissance de la compagnie et, pour tout dire, assurer sa légitimité. L'ornementation foisonnante et méconnue qu'on découvre en flânant dans la gare n'est donc pas seulement la preuve qu'  en ce temps-là, ma bonne dame, on avait encore le goût du travail bien fait , elle participe d'un projet précis. En ce sens la gare de Lyon me semble une cousine ferroviaire de Versailles, tout ensemble bâtiment utilitaire, lieu de pouvoir, et outil de propagande par le programme décoratif. Voyons ça.

On a assez dit, et moi aussi, que la tour de l'horloge évoquait explicitement les campaniles italiens. Le reste de la façade mérite aussi qu'on le regarde. Louis XIV tenait son pouvoir de la Sainte Ampoule, le PLM tient le sien de sainte Loco :

undefined

Le roi était maître de la guerre et de la paix, le PLM est maître de la mécanique. Il faut le dire par une allégorie renouvelée de l'antique, donc une femme nue :

undefined

Elle me plaît, cette dame colossale. Le profil altier, vêtue seulement d'une chaîne et d'un attendrissant chignon 1900, potelée comme on les aimait à l'époque… la maîtresse du patron ?

La compagnie règne sur son réseau, en témoigne la profusion des blasons des villes et provinces desservies (soumises ?), aussi bien dehors, autour des fenêtres des bureaux :

undefined

… que dedans, au-dessus des quais :

undefined

Vous avez remarqué la tête de fauve, à droite de la photo ?

undefined undefined La gare est remplie de ces masques grimaçants, domptés par les ingénieurs, réduits à soutenir la charpente, couverts de fientes de piafs et d'une suie d'époque, au service des poutrelles, de l'acier, du Progrès !

Versailles, disais-je. La gare est le palais de la compagnie. On pense bien sûr au  Train Bleu , le somptueux restaurant au décor classé dont Dali appréciait beaucoup les toilettes, éprouvant une satisfaction profonde à pouvoir pisser tout en regardant partir les trains, ce qui n'est possible qu'ici. Mais il n'y a pas que le Train Bleu pour jouer au monument. Les gares du XIXe siècle se donnent toutes des airs de cathédrale, abritant leurs voies sous d'amples verrières. Naturellement elles abritent hommes et machines, mais elles ne sont pas techniquement indispensables – les prolongements modernes des quais se contentent, au mieux, de petits toits filants sur chaque quai. S'il ne s'était agi que de protéger le matériel, pourquoi le PLM aurait-il offert des colonnes de porphyre à sa gare ?

undefined

Bon, j'avoue : ce n'est que de la peinture sur des tuyaux de descente des eaux de pluie, mais quelle allure…

Rien de tout ceci n'est caché à la vue, il ne faut que lever le nez – ce que peu de monde pense à faire, semble-t-il. Mais attendez seulement que je vous montre les peintures.

Peintures ? Peintures ! (prochain article)


Sources : deux articles de Wikipédia, Histoire des chemins de fer français et Gare de Lyon et aussi  Vie et Histoire du XIIe arrondissement  (éditions Hervas).

commentaires

P
Merci encore pour ce billet<br /> Je croyais connaître la Gare de Lyon<br /> J'y retourne dès demain pour tout regarder, au lieu de passer sans voir.<br /> Et la Gare d'Asuterlitz c'est aussi bien ?
Répondre
M
Je l'ai beaucoup moins fréquentée. Sa décoration est moins riche, je crois, mais il y a au moins deux peintures d'un peintre italien dont le nom m'échappe régulièrement, quelques très beaux volumes de pierre de taille, et un accouplement hors-normes entre la gare et le métro aérien !
A
J'y passe pas très souvent, à la gare de Lyon, cepuis que certains train ont le bon goût de contourner Paris pour aller du Nord au Sud, et je n'avais jamais remarqué ces faunes des poutrelles... Très joli. :-)
Répondre
M
Avec l'article suivant, tu sais ce que tu manques ! :-D

Archives