Chose promise… (ici)
La gare de Lyon, son peuple inaperçu de masques et de blasons, ses quais, ses bureaux, sa décoration. J'avais, sans crainte du ridicule, évoqué Versailles – ce qu'aurait pu être un Versailles de Belle Époque et de chemins de fer, où l'affirmation de la puissance passe par la richesse de la décoration.
L'endroit où cette inspiration ressort peut-être le plus nettement est la galerie des Fresques. Fresques ? Dans une gare ? Attendez un peu. Cette galerie est parallèle aux voies, du côté de la rue de Chalon (Chalon-sur-Saône : toujours le territoire…). La rue avait donné son nom à l' îlot Chalon
où pullulaient, voilà vingt ans, squatters, odeurs fortes, trafics de substances condamnables et bons restaurants chinois. Y ai-je mangé du chat ? Les maisons branlantes sont devenues béton cossu ou social, le quartier est très mort et la rue, enterrée : châtiment ? Excusez-moi, on dérive.
Donc cette longue galerie aligne une enfilade de guichets, peut-être quarante, et de boutiques. À toute heure la traversent des gens pressés. Ils entrent à un bout, regardent leur montre, leur billet, les écrans qui leur disent vers quel quai foncer… et ils foncent, droit vers l'autre bout.
S'ils ralentissaient, s'ils se retournaient, ils verraient Venise : Saint-Georges Majeur et la place Saint-Marc, rien de moins, et pas des miniatures.
S'ils levaient les yeux, ils retrouveraient les masques grotesques soutenant le plafond à caissons.
Ils verraient une France improbable, une France où, sur une route tranquille, un paysan rentre son foin en menant son cheval à pas lents. Et là-haut, dans les bottes, ce n'est pas son petit dernier qui profite de la balade ?
Ils verraient une France sans autoroutes, sans lignes à haute tension, tout juste un petit train discret entre Auxerre et Vézelay.
Ils verraient qu'à Montpellier, les dames portent encore des ombrelles et les soldats, des pantalons garance.
Ils verraient qu'à Dijon, une voiture toute récente s'est glissée dans une faille de l'espace-temps.
Ils verraient qu'à Nice le casino-jetée attend encore les promeneurs.
Ils verraient qu'en rade de Toulon, l'escadre de Méditerranée lâche des volutes d'une fumée noire de charbon.
Ils verraient un tout petit Sacré-Coeur au sommet d'une butte Montmartre battue par les flots de maisons.
Ils verraient une tour Eiffel de haute fantaisie, quatre fois plus grande que la réalité.
Ils verraient qu'à Paris, la circulation a toujours été impossible à cause des chantiers.
Ils verraient Notre-Dame, le Louvre et les Tuileries.
Mais qu'est-ce que je vous raconte ? C'est très simple : au-dessus des guichets de la galerie se trouve un immense tableau (les voilà, les Fresques
…) retraçant tout le trajet du PLM, de Paris à Menton, tel qu'il pouvait apparaître entre, je pense, les deux guerres, exception faite de quelques anachronismes succulents :
Une vision un peu plus large, 1500 pixels, mais il en faudrait dix fois autant…
Pour revenir à la largeur normale.
Prenez le temps de regarder ce tableau en détail, il en vaut vraiment la peine. Même si ce n'est pas un chef-d'œuvre, c'est au moins une curiosité peu commune. Voilà peut-être la plus longue peinture murale de France, devant laquelle passent chaque jour des milliers de personnes, or j'ai bien l'impression que personne ou presque ne sait qu'elle est là.
La voilà, la malédiction de la gare de Lyon !
Petite note technique : j'ai eu un mal de chien à vous fabriquer ce panoramique, faut-il que je vous aime, tout de même. Vingt travées, autant de photos à nettoyer puis assembler : l'éclairage n'est pas toujours terrible et la qualité, inégale. Songez cependant que c'est photographié à main levée dans une gare et pas sur un trépied dans un musée – et soyez indulgent envers l'artiste…
Sources : pas mal de trains pris, attendus, manqués et de promenades le nez en l'air… Je n'ai trouvé aucun renseignement ou document sur ces peintures.