Qu'est-ce qui fait la séduction d'une ville ?
Au début, évidemment, vous répondrez monuments, musées, histoire, ou encore boutiques, cinémas, ou encore parcs, fleuve s'il en coule un, climat et soleil le cas échéant… en somme, toutes les étoiles des guides. Tout cela est vrai, on peut être subjugué par la beauté d'une ville comme, au début d'un nouvel amour, par la beauté d'une femme ou son sourire, ou son charme, ou son intelligence, ou son – non, il peut y avoir des lecteurs mineurs – ou blablabla… depuis le jardin d'Eden on n'a pas beaucoup progressé.
Et puis ? Si, dans un cas ou l'autre, on reste, qu'est-ce qu'on persiste à aimer ? On ne peut pas en permanence s'envoyer en l'air aller au sommet de la Tour Eiffel, la monotonie guette dans tous les domaines, une journée ne peut pas comporter que des moments éblouissants.
Pour entretenir le parti pris ne restent alors que les attentions quotidiennes, les gentillesses qui échappent spontanément, les égards mutuels, l'art de se laisser respirer l'un l'autre, le mais qu'on est bien ensemble !
– et cela ne se simule pas indéfiniment.
Dans le cas d'une ville je commence à être un peu compétent. La séduction d'une promenade dans Paris, même et surtout sur un itinéraire familier, tient à toutes les beautés inutiles, les petites joies mises là juste pour le plaisir du passant, pour ne prouver que l'amour de la vie et le goût du travail bien fait : un joli motif de porcelaine sur une façade, une belle porte en bois, un palmier inattendu dans un jardin. Même les géraniums sur un balcon ? Hum… vous êtes dur, là… Tout dépend du métrage, l'excès en tout est un défaut.
Il y a, pas loin de chez moi, un hôpital pour enfants, bâti vers la fin du XIXe siècle. Un hôpital n'est pas une résidence de plaisance, on fait sobre et fonctionnel, en général. Au mieux, on orne de quelques grandes figures médicales et hygiéniques, et tout est dit. Celui-ci n'échappe pas à la règle, mais, en visant bien, on aperçoit cette horloge au milieu des toits, qui me fait craquer à tous les coups :
Avec son cadran de faïence, son optimiste soleil central, le carillon qui la coiffe, elle a un air d'ailleurs qui m'évoque chaque fois les cadrans solaires du Queyras ou du Briançonnais. Ça, c'est des beaux pays ! De la montagne pauvre, rude et splendide, on ne s'en sort qu'en s'instruisant ou en courant le monde. Là, le hors-sujet copieux me guette, revenons aux cadrans solaires.
Ils sont toujours peints avec beaucoup de soin et une devise latine, rarement frivole. Celle-ci les résume toutes : Omnia vulnant, ultima necat. Toutes blessent, la dernière tue
– mais on n'écrit pas des choses pareilles dans un hôpital.