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5 août 2008 2 05 /08 /août /2008 23:27

Du béton fiscal : que voilà un but de promenade bien masochiste – le défi est beau, non ?

En 1871 les Finances s'installent rue de Rivoli, dans l'aile Nord du Louvre. Un bâtiment neuf, édifié par un Napoléon III tout juste détrôné, une adresse centrale et proche des autres lieux de pouvoir, un cadre somptueux. Au fil des ans le manque de place dispersera les services en ville et aux environs, mais ministres et directeurs logeront là cent vingt ans, dans ce que la rhétorique de presse nommera la  forteresse de la rue de Rivoli , entre les statues des grands anciens et le musée voisin.

Justement, le musée… le musée se trouve de plus en plus à l'étroit, lui aussi, et lorgne depuis longtemps la tanière des bureaucrates. En 1981, François Mitterrand nouvellement élu lance le projet du  Grand Louvre  : le musée va récupérer la fameuse aile sur la rue de Rivoli, couvrir ses cours, s'étendre en souterrain… chantier colossal.

Les Finances trouveront un autre site, dans un Est parisien qui s' embourg embellit progressivement. À Bercy, à la place d'une partie des anciens entrepôts à vin, le Palais Omnisports en voie d'achèvement montrera bientôt ses pelouses en pente (dont la tonte et ses soucis imprévus mettra en joie pour plusieurs semaines le  Canard Enchaîné ) : le ministère ira là, ce sera l'occasion de regrouper tout le monde dans un bel immeuble tout neuf.

Les travaux commencent rapidement ; dans les couloirs et les hautes sphères de l'Inspection des Finances on râle, avec politesse mais clarté, contre l'  exil . En 1986 le déménagement a déjà débuté, cependant les élections législatives s'annoncent fort mal pour Mitterrand. Le ministre de l'époque, Pierre Bérégovoy, voulant créer le fait accompli veille à rendre inutilisable la rue de Rivoli avant d'en laisser la clé, alternance oblige, à son successeur RPR Édouard Balladur. Lequel successeur, ne concevant pas de s'installer dans l'extrême Orient parisien (et pas malheureux de contrarier l'adversaire), fera aussitôt tout remettre en état et suspendre le transfert… le Grand Louvre attendra deux ans que 1988 réélise François Mitterrand et une Assemblée plus conciliante. Nos princes sont parfois de grands enfants.

Depuis 1989 donc, toute l'administration des Finances loge dans la  forteresse de Bercy  – les clichés ne meurent jamais.

Elle est difficile à manquer, cette  forteresse  : quand on entre en voiture dans Paris par l'Est, on passe dessous ; quand on va au Palais des Sports, en sortant du métro, on tombe dessus ; quand on va sur mon blog et qu'on clique sur la photo ci-dessous… (si si, cliquez vous dis-je ! je me suis assez embêté à raccorder deux photos pour obtenir ça !)

Ministère des Finances (Paris XII)

Difficile à manquer et peu regardée, or il y a matière à observer et apprécier.

La manière d'occuper les lieux, pour commencer. La rue de Rivoli et les services disséminés dans Paris et autour représentaient beaucoup de monde. On aurait pu élever une tour unique, toute vitrée, et parler de  signal fort  et de  geste architectural . Ce n'aurait pas forcément été vilain ni même médiocre, juste hors de propos, hors de formes, hors de ville.

Ministère des Finances vu de la gare de Lyon (Paris XII)

Au lieu de quoi les architectes ont préféré utiliser le long talus qui sépare la rue de Bercy des voies de la gare de Lyon pour y insérer une coulée d'immeubles accompagnant la courbe de la rue, et l'allure de ces bâtiments change graduellement : pierre agrafée en façade aux abords du Palais des Sports et des immeubles d'habitation, vitrage à l'approche de la gare de Lyon et de son quartier de bureaux purs et durs. Toujours en allant vers la gare de Lyon, une promenade sous arcades puis en terrasse permet aux piétons d'échapper un moment au trafic de la rue de Bercy.

Les pavillons sont bien distincts et reliés par des passerelles. Le tout ne cherche pas à se faire prendre pour un jardin de plaisance mais ressemble au moins à une rue et des immeubles plutôt qu'à une barre et une dalle.

Ces pavillons portent des noms connus : Sully et Turgot près de la gare de Lyon (architectes : Louis Arretche et Roman Karasinsky), Vauban, Necker et Colbert (architectes : Paul Chemetov et Borja Huidobro) pour le reste.

Le plus spectaculaire et le plus ample, celui de la photo, celui des ministres, celui qu'on voit dans les journaux, est le pavillon Colbert – un nom qui en dit sûrement très long…

Son aspect non plus ne doit rien au hasard.

Viaduc de Bercy, perspective (Paris XII)

Il y a deux monuments notables dans le voisinage : la Seine et le pont de Bercy, le métro traversant l'une en passant sur l'autre. Le pont est un brave pont sans prétention artistique, un honnête pont de bonne pierre proprement taillée et d'horizontales impeccables, aux arches régulières. La Seine, ah la Seine…

Du pont, le ministère reprend les arches, les horizontales, la nuance de la pierre. Quant à la Seine, il y plonge carrément les pieds – liberté prise avec le cahier des charges initial, qui fit couiner en son temps.

Vedette rapide du Ministère des Finances (Paris XII)

Ce belvédère sur la Seine permet peut-être au ministre de s'imaginer qu'il habite un palais vénitien ? De Venise en tout cas, il reprend les vaperotti : deux vedettes attendent entre ses pieds que l'on ait besoin d'elles pour rallier rapidement le centre de la capitale – elles ne sont pas un gadget, on les voit de temps à autre filer sur le fleuve et ce sont des bateaux très véloces – à vous donner envie de devenir ministre. Comble de modernité, le toit de l'immeuble accueille aussi une plate-forme d'hélicoptère.

Ancien pavillon de l'octroi - Ministère des Finances (Paris XII)

Sans connaître aucun des architectes, d'autant qu'Arretche et Karasinsky présentent cet inconvénient d'être morts, je les crois volontiers gens observateurs et cultivés.

Le pavillon Colbert est un gigantesque cousin de son voisin le pont de Bercy, il est aussi une porte monumentale de la ville, sous laquelle passent voitures le long de la Seine et piétons le long de la rue de Bercy.

Or cette porte se dresse précisément sur la limite du Paris des fermiers généraux : on reste dans la famille fiscale. On y reste à tel point qu'on en recycle le patrimoine : les deux anciens pavillons de l'octroi (du classique XIXe siècle, pas les étonnants cubes et rotondes laissés par Ledoux ailleurs) ont été englobés dans le ministère, l'un lui sert même d'entrée principale. On n'est pas allé jusqu'à réutiliser les noms des fermiers généraux eux-mêmes, peut-être parce qu'ils ont très mal fini. Superstition ?

Pont, palais vénitien, porte monumentale… cette bâtisse éclectique s'amuse même avec le cliché de la  forteresse . Il suffit de se pencher au-dessus du parapet, ce que j'ai rarement vu faire par les passants, pour découvrir des douves, larges jardins habités de statues.

"Douves" du Ministère des Finances (Paris XII)

En longeant ces douves on arrive à un pont (que l'humour des architectes n'est pas allé jusqu'à rendre mobile, il ne faut tout de même pas se couper du citoyen), lequel conduit au gigantesque carré d'une porte de bronze.

Porte monumentale du Ministère des Finances (Paris XII)

Et cette porte, qui donne accès à la cour d'honneur, forme peut-être le morceau le plus inattendu de ce qui n'est après tout que le siège d'une administration…

À la manière des portes des baptistères italiens elle héberge tout un peuple de hauts-reliefs vaquant aux  Travaux de la Terre  (c'est le titre de l'œuvre), voici un gros plan du panneau tout en haut à gauche :

Détail de la porte monumentale du Ministère des Finances (Paris XII)

Est-il le pendant de la  Semeuse  d'Oscar Roty, qui a orné tant de pièces en francs ? Lui, au moins, sème comme un vrai paysan, avec le vent dans le dos : moins romantique mais plus efficace.

Je ne connais pas l'intérieur, peut-être bien que j'y traînerai mes guêtres aux prochaines journées du Patrimoine…


Plus de détails sur le site du service de la communication du ministère.

Et, pour la bonne bouche, cette phrase de Paul Chemetov :  Ce que j'aime le plus, c'est l'authenticité. Ce que j'aime le moins, c'est la bêtise. Mais que fait-on des imbéciles authentiques ? 

commentaires

D
Désolée d'avoir écrit à peu près la même chose que Djac... En fait, je n'avais pas suivi le compte des commentaires et j'avais pas vu que l'altiste m'avait copiée AVANT que j'écrive. On peut pas leur faire confiance, tu vois bien.<br /> <br /> Le site du ministère, il est pas bordélique (dis donc, t'as de ces mots, toi...). Il est comme une déclaration d'impôts. Compliqué quand ça pourrait être simple. On ne peut pas s'y promener.<br /> <br /> Mais on s'en fout, on vient se balader chez toi... ;-)
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M
<br /> Eh bien, justement, en parlant de balade... ça ne devrait plus tarder :-)<br /> <br /> <br />
D
Maintenant que je m'en suis à peu près sortie avec mes propres photos et que j'ai tout bien remis mes p'tites affaires à l'endroit, je peux enfin prendre deux secondes et sept dixièmes pour dire ici quelque chose de définitivement définitif.<br /> <br /> Et donc, disais-je... Bon. Tu sais quoi ? Pour paraître brillante et intelligente et tout ça, je vais attendre septembre, plutôt.<br /> <br /> Ce bâtiment est probablement impressionnant et beau quand on le voit en vrai. Il doit effectivement être passionnant à photographier. Mais là, comme ça depuis Dieupentale, j'ai du mal à me représenter la chose. Ça me paraît neuf, froid, et malgré les références architecturales que tu évoques (rapport aux pavillons, bicoques et autres musées voisins), très international. Il faudrait un peu de rouille et quelques liserons là-dedans.<br /> <br /> Ah bien sûr, moi je me balade entre deux ponts qui craquent et grincent, c'est pas la même ambiance, j'en conviens... ;-)<br /> <br /> Par contre, t'as pas envie de proposer tes services aux gens du service com' du ministère ? Pour leur expliquer comment faire un site ergonomique. Rien que pour leur dire qu'un fil d'Ariane c'est pas pour les chiens, des trucs comme ça, tu vois.<br /> <br /> Et sinon, c'est où, la prochaine balade ?<br /> <br /> DB_y'a_pas_beaucoup_de_tournesols_par_chez_toi,_dis_donc ;-)
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M
<br /> Je te réponds un peu comme à Djac : l'ensemble (pas seulement le grand bâtiment Colbert) peut être jugé beau ou pas, trop grand, froid et sévère (il l'est, indéniablement), etc. International ? Le<br /> mot est de toute manière un peu casse-gueule, autant que le saint patronage du Corbusier.<br /> Si c'est pour dire "passe-partout", je ne suis pas d'accord et c'est ce que je réponds à Djac : le ministère (encore une fois, Colbert et tous les autres) joue à sa manière le jeu de la ville. On<br /> aime ou pas cette manière, au moins joue-t-il le jeu. Si c'est pour dire "XXeme siècle", ben... on peut même relever des afféteries typiques des années 80, comme la prolifération des motifs carrés<br /> (encore est-elle discrète si on compare à d'autres immeubles de cette époque) . Si c'est pour dire  "pas comme au bon vieux temps"... j'ose à peine imaginer ce qu'aurait donné un pastiche<br /> d'immeuble haussmannien !<br /> La rouille et les liserons ? :-) Peut-être que le lierre viendra tout recouvrir un jour ?<br /> Le site du ministère est-il donc si bordélique que ça ? Il ne m'avait pas tellement semblé - mais bon, je n'ai pas investigué dans tous les recoins.<br /> La prochaine balade, et comme d'habitude : j'en sais rien ! Mais il y en aura une...<br /> <br /> <br />
D
Mouaif... J'avoue que le côté Palais moderne pour abriter un ministère de la République, je goûte un peu moyen. Chai pas, malgré tes efforts pourtant louables, je reste assez insensible aux charmes des grands bâtiments modernes ; c'est froid, et tout en angles droits...<br /> En revanche, je découvre les quartiers circum-Buttes-Chaumont, c'est tout à fait étonnant ! On passe sans transition d'une place parfaitement moche (la place des fêtes) à des allées tranquilles sous de douces charmilles, qu'on se croirait soudainement dans un petit village de campagne. Et l'agencement des maisons, cours intérieurs, bâtiments, doit donner des migraines à quiconque se penche sur le cadastre ! <br /> Sans compter le mélange culturel, quand on passe en l'espace de 500 mètres du Honk-Kong center, à l'épicerie du Caire (produit Arabe hallal et... Indien, va comprendre), jusqu'au SuperCacher, supermarché cacher - voire même un resto de hamburger cacher labellisé, attention, par le grand rabbinat orthodoxe de Paris (et juste à côté d'un resto indien, tiens).<br /> Et, cerise sur le gâteau, voilà que je viens de découvrir le parc de Belleville, dont le taux de touristes au mètre carré est à peu près nul, alors même que la vue sur Paris vaut celle de Montmartre !<br /> Vive le 19e ! :o)
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M
<br /> Héhé... l'Est parisien, comme souvent dans les arrondissements de périphérie, est plein de pépites méconnues. N'en parle pas trop, tu vas attirer du monde !<br /> <br /> Sur l'article : je ne prétends pas qu'il faille traverser Paris pour une promenade d'agrément dans le coin ! J'ai seulement voulu faire sentir que cet ensemble de bâtiments, s'il ne joue pas la<br /> carte de la séduction (après tout, "ministère" et "finances" parlent de pouvoir et d'argent !) mérite mieux qu'un jugement hâtif.<br /> D'une part, quand on regarde dans les coins, on a des surprises, d'autre part et surtout, il y a dans cet énorme (ex-norme, hors normes) complexe, malgré la taille que lui imposait sa destination,<br /> un réel souci de se raccorder à ce qui l'entoure, souci totalement absent de la plupart des constructions de ce genre.<br /> De ce point de vue le ministère prend le complet contrepied des tours de bureaux parfaitement impersonnelles, brutales, désastreuses qui l'ont précédé de ce côté de la gare de Lyon, on y sent<br /> beaucoup plus d'intelligence et d'égards, si j'ose le terme. Imagine seulement que le pavillon Colbert ait été une muraille parallélépipédique, vitrée, avec une statue contemporaine dans le hall<br /> d'entrée, pour faire joli. Imagine un peu le gâchis...<br /> <br /> <br />
.
C'est moi pour essai
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M
<br /> essai concluant :)<br /> <br /> <br />
C
Pas encore de commentaires, c'est juste que tout le monde est parti en vacances, d'ailleurs je pars demain!<br /> Mais si ton ministère inspire... très bel article bien documenté et belles photos bien à l'appui des commentaires, c'est fou ce qu'on apprend avec toi, merci<br /> Coco
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M
<br /> Merci...snif...merci ! (et bonnes vacances)<br /> <br /> <br />

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