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22 mai 2007 2 22 /05 /mai /2007 22:08

Et recommencer, c'est la meilleure façon de marcher – tout le monde sait ça.

Je le fais souvent, vous vous en doutiez peut-être, et j'y prends un plaisir tout particulier.

J'avais presque onze ans, je me suis un jour étalé par terre au beau milieu d'un passage piéton. Plus de peur que de mal, le copain qui m'accompagnait en était resté tout éberlué – et moi aussi, qui bientôt n'y pensais plus. Puis je me suis mis à boîter, sans même m'en rendre compte. Les professeurs en ont parlé à mes parents, qui m'ont emmené chez le médecin de famille. Pas loin : il logeait dans l'escalier d'en face. Tous les jours en rentrant chez moi je voyais sa plaque ; elle parlait de  maladies des enfants , c'est plus clair, joli et rassurant que  pédiatre  – tout le monde n'a pas étudié le grec. Ma mère, à l'époque, dégustait salement du fait d'une spectaculaire sciatique paralysante qui l'avait clouée au lit et, aujourd'hui encore, lui fait traîner la patte. Le toubib en avait conclu que, bon petit garçon à l'irréprochable colonne vertébrale, mais affectueux , je claudiquais pour faire comme elle – ça passerait tout seul.

Ça ne passait pas. Mon père, médecin lui aussi, avait dû bien malgré lui abandonner sa chère médecine générale et faire sa spécialité à quarante ans passés. Il en avait gardé un sens clinique affûté et, un soir, m'a demandé de lui montrer mes chaussures. Conclusion : des semelles plus usées d'un pied que de l'autre, ça n'a rien de psychosomatique. Confusion sincère du confrère, qui m'aimait bien et a tout fait, ensuite, pour se faire pardonner sa boulette. Clinique, spécialistes, examens, radios. Diagnostic : ostéochondrite de la hanche droite. Quoi c'est, ça ? La tête du fémur se désagrège spontanément puis, au bout d'un certain temps, se reconstitue tout aussi spontanément. Les causes sont, maintenant encore, inconnues, on sait seulement qu'aucune bébête malfaisante n'y participe – plus tard, lors d'une visite médicale quelconque, une infirmière à qui je mentionnais cette maladie de jeunesse a lâché d'un air 'justement-je-ne-connais-que-ça' un négligent  oui, on l'a traitée aux antibiotiques ?  – monstre de charité chrétienne que je suis, je ne l'ai pas reprise. Passons.

Alors, les causes ? un petit vaisseau nourricier discrètement coincé ? un défaut de minéralisation ? En tout cas c'est une maladie de croissance, et plutôt pour des gamins plus jeunes que je ne l'étais. Le traitement est tout simple : fiche la paix au nonosse, le laisser bouder puis se refaire. Dans l'intervalle, pas question évidemment de poser le pied par terre. Donc : au lit. Pas question non plus de laisser muscles et ligaments maintenir, comme ils en ont le devoir et l'habitude, fémur et bassin en contact. Donc : au lit et en traction.

Aussi, après les vacances de Pâques et ma première communion (les bons frères m'avaient dispensé de la retraite préalable), me suis-je retrouvé consigné chez moi, alité, une magnifique bande de sparadrap le long de chaque jambe, un peu comme un pantalon à sous-pied. Dans la boucle de chaque sous-pied, une cale de bois munie d'un crochet. Attachée au crochet, une ficelle file vers le coin du lit, passe sur une poulie de renvoi, et se termine par un poids ajustable : fana de Meccano, j'étais largement servi ! Les deux jambes en traction, la bonne et la mauvaise, pour la symétrie : il eût été ballot de déformer une épine dorsale pour soigner une hanche, tout de même.

Pas malheureux : gamin tranquille, j'avais enfin une excuse en béton pour échapper aux cours de gym, point faible traditionnel des bons élèves (et de pas mal d'autres…). Les professeurs venaient régulièrement prendre des nouvelles et me transmettre les cours : merci à eux, aujourd'hui encore. J'étais un peu étonné de les voir sans leur blouse, attentionnés, discrètement impressionnés, pas du tout chefs de classe, presque aussi normaux que des amis de la famille. Les copains venaient souvent eux aussi : les bons bien sûr, les mauvais (les cancres costauds) de même, moins souvent mais bien obligés. Je me sentais avec eux comme ce défunt qui a fait graver  Je vous avais bien dit que j'étais malade !  sur sa pierre tombale. Délicieuses minutes de pure hypocrisie. Dans le fond, je suis méchant.

Ainsi passa le trimestre, sans dégâts scolaires majeurs, dans le confort, les soins et l'affection, mes livres et mon cher Meccano (j'étais en fait revenu au Lego quand j'en avais eu marre de chercher écrous et boulons au fond des draps), toutes choses importantes. Dans pas mal d'ennui inévitablement. Et, par la force des choses, pas dans la plus pure rigueur thérapeutique : même un patient patient (et je l'étais, rien de plus sage qu'un malade de onze ans) se lève quelquefois pour aller se laver. Pour les évacuations, merci d'y penser, il y avait urinal et bassin. Cependant, je restais assis la plupart du temps et ce n'était pas bon, pas bon du tout.


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