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27 mai 2007 7 27 /05 /mai /2007 19:50

Quand on est très loin de son petit monde, et qu'on n'a pas vraiment choisi de s'en éloigner, tout ce qui peut l'évoquer est bienvenu. J'ai toujours aimé la pâtisserie, surtout les gâteaux classiques, simples et parfaitement exécutés. Trop de crème, de sucre, de chocolat, de sirops… beuh, pas bon pour la santé, tout a le même goût, tapageur, bref vaguement suspect de masquer une grande médiocrité, juste bon à vendre plus cher et, pour conclure, réservé aux  gros cagnas  (terme local, je vous expliquerai peut-être ça un jour) qui n'y connaissent rien. C'était déjà ma morale en la matière et ça l'est resté.

Paix, amis chocophages, paix : je suis des vôtres, rien de supérieur à du vrai chocolat – donc noir – présenté comme il convient à du vrai chocolat – donc en tablettes. C'est seulement si le chocolatier réussit ses tablettes que j'irai voir ses chocolats fourrés – mais alors, avec le plus vif intérêt. Le reste peut être amusant, mais c'est pas vraiment ça. Quant aux diverses présentations industrielles, hormis une brève tocade adolescente pour le Nutella, bof. * se baisse vivement pour éviter un coup d'archet dans l'œil *

Nous parlions de gâteaux. À la période  tsarines et sablés  avait alors succédé la période  meringues . Je viens d'une région de montagnes, de granit, de genêts, de bruyères et de sapins, où les apiculteurs vendaient, vendent toujours, pour pas très cher de l'excellent miel en pots de plastique. Le plastique n'a jamais eu le temps d'abîmer le miel… Les pots, une fois lavés (c'était facile, il ne restait jamais grand-chose à laver) faisaient de très bons rangements à petits trucs dans la maison – l'équilibre d'un budget ménager tient aussi à ce genre de combines. Ma maman avait associé affection et sens pratique pour convoyer, à chaque visite ou presque, une énorme meringue qu'elle calait avec une serviette de papier dans un tel pot bien fermé – ce précurseur avait inventé le transport par conteneurs. Le fragile château de blanc d'œuf et de sucre arrivait toujours intact, merveille d'amour maternel. Et tant pis pour les miettes dans les draps.

Un certain jour, mère consciencieuse poursuivant l'éducation de son rejeton, elle mit dans le pot – non, dans un pot supplémentaire : elle n'allait pas me priver de meringue – un petit pain de Gênes, acheté chez le meilleur pâtissier.  Pain de Gênes  ne vous évoque peut-être rien ? On les appelle aussi des financiers, je l'ai appris plus tard – mais continue à préférer Gênes à la finance, une belle ville retenue à l'argent étalé. Paysan des villes, bien élevé, réservé. Un mot sur le pâtissier : bien des années plus tard ma mère, qui connaît le goût des bonnes choses, passait devant la vitrine de Lenôtre, célébrissime artisan parisien, sans d'abord savoir où elle était, devant quel sanctuaire des snobs elle se trouvait. Elle m'a confié avoir spontanément pensé devant cette vitrine inconnue :  Il faudra que je revienne, c'est la première fois à Paris que je vois des gâteaux presque aussi appétissants que chez untel ! (l'artiste du terroir) . On n'est jamais trop prudent avec les vieilles Auvergnates à forte caboche.

Et donc je (re)découvris le pain de Gênes – et oubliai bientôt les meringues. Pour me vamper aujourd'hui, c'est très simple : apportez des pains de Gênes – des bons… Princesse Petit Pois ?

Ma tante, obtuse vieille fille égocentrique, se déplaçait tout de même quelquefois. Elle ne trouvait pas grand-chose à me dire mais, malgré tout, c'était toujours ça de pris. Elle avait même, un jour, pensé à m'apporter des mandarines – il était permis d'apporter des douceurs aux pensionnaires, elles étaient soigneusement mises à part dans un coin de frigo. Ma tante n'avait malheureusement pas pensé à préciser que les fruits étaient pour moi : ce soir-là, comme toute la chambrée, je fus ravi d'avoir des mandarines au dessert… Il y a pires déceptions dans une vie ; celle-ci ne résultait que d'une maladresse, pas d'une vilenie. Je n'ai pas été trop chagriné et n'en ai voulu à personne. Juste retenu la leçon.

On a besoin de caresses, à tout âge, données et reçues.

Un autre jour, voulant bien faire mais pas très renseignée sur les enfants, cette tante m'avait offert un petit chien, un hideux jouet de carton et de fourrure synthétique. Je le trouvais un peu bébé pour moi (dites donc, onze ans ce n'est pas rien) mais très joli – et puis c'était un cadeau, une gentillesse, une nouveauté. En fait, il me plaisait bien, assouvissait mon amour de gosse pour les animaux, encore renforcé par l'imagerie ambiante.

Une famille modèle, de banquier, de promoteur ou de livre de lecture, dans ces années-là c'était quoi ? Bien sûr Papa, Maman, tous deux jeunes et beaux (mais sans excès, on n'est pas à Hollywood) un grand frère et une petite sœur autour de dix ans – après les couches, avant les boutons. Bébé en option, c'est encombrant ces machins-là. Une grande maison de maçon avec pelouse, tondeuse et barbecue (la piscine aurait, elle aussi, fait trop Hollywood) et, touche finale, un énorme chien plein de poils pour gambader autour de ces pauvres demi-dieux tout sourire. Ma famille n'était pas comme ça, pas du tout, mais c'était la mienne, je l'aimais, et conchiais vigoureusement quiconque eût osé faire la fine bouche. Bren du fat ! Naturellement je n'aurais pas conçu, à l'époque, de le dire ou même le penser ainsi. Naturellement. À l'époque.

Et le petit chien ? Il était assis sur le plateau de la table de chevet, espace mesuré et précieux. Je l'apercevais toute la journée, j'adorais caresser la fameuse fourrure. Il était trop petit pour une vraie caresse de chien, une caresse avec la paume, je me contentais du bout des doigts. Assez souvent je le posais près de moi pendant la lecture, petite boule de poils indifférente que j'imaginais aimante. Il m'était surtout indispensable le soir. Je lui racontais quelquefois ma journée, lui effleurais le dos et les pattes, puis le reposais sur la table pour regarder luire ses yeux de plastique. J'avais passé l'âge de serrer un nounours pour m'endormir, et puis il était vraiment trop petit.

Caresses encore.

La prof de français-histoire-géographie-et j'en oublie sans doute nous avait à la bonne, tous ces gamins abîmés devaient beaucoup l'émouvoir. J'ai tort d'ironiser. Elle faisait bien son métier, je m'efforçais de lui retourner la politesse et rendais des rédactions au minimum correctes, quelquefois intéressantes. Les cours, dans leur forme, tenaient plus de belles histoires racontées d'une voix douce que de la conférence en chaire ; pour autant le fond en était irréprochable : c'était une classe, pas une garderie. Un certain jour, je ne sais plus pourquoi, peut-être épuisé de mélancolie accumulée, je me suis permis d'éclater en sanglots en plein cours, sans bruit et sans retenue. Ce ne m'était pas arrivé depuis au moins la maternelle – comme quoi le réservoir n'était pas complètement vidangé. Je ne faisais pas semblant. Les bonnes paroles sans suite et sans danger restant sans effet, un peu désarmée, elle a oublié son rôle de prof et m'a posé un baiser sur le front – un seul, tout léger, de grande personne à petit, tout petit garçon. Naturellement et sainement, les autres m'ont chambré sans méchanceté sur ce tout premier succès féminin – onze ans, en pleurs, les jambes dans le plâtre et le cul dans un lange, je faisais à coup sûr un charmeur irrésistible, plein de mâle séduction. Passer pour le chouchou de la prof me gênait peu, j'avais l'habitude depuis longtemps. Elle avait fait ce qu'il fallait, m'avait lancé la bouée dont j'avais besoin. Il n'en a plus jamais été question.

Pendant ce temps, il se passait des choses. Radio après radio, la tête du fémur se ratatinait. Il y a une fin à tout, à ça aussi. Vint un jour d'automne où les médecins jugèrent que j'étais non pas guéri (vous êtes bien pressé, là…) mais sorti de la période la plus risquée. Il ne restait plus grand-chose en surface, mais au moins ce reste n'était pas friable. Toujours ficelé à mon tank en forme de lit, lesté de mes tractions, je pouvais désormais, lors des visites, sortir un peu dans le parc. Waahh… sortir de la salle, laisser un moment les copains que je voyais tout le jour, se retrouver en famille, c'était quelque chose. En famille au complet : si j'avais déjà vu mon frère aîné, ma sœur cadette, trop jeune pour être autorisée à monter dans les étages, n'avait eu jusque là de nouvelles qu'indirectes.

Le parc était très beau. La soierie nourrit son homme, les Sabran n'avaient pas acheté puis donné un misérable lopin. Du fait de la mer partout proche, les arbres souffraient moins de la chaleur pendant l'été. La seule plage un peu vaste de la presqu'île était celle de l'hôpital – merveilleuse aux beaux jours pour les idylles du personnel soignant. Les pins et les eucalyptus, qui ne voyaient que très rarement une pelleteuse ou une bétonnière, avaient grandi en paix. Même cantonné à mon lit et aux allées goudronnées, j'appréciais beaucoup ce début de liberté.

Tout le monde était venu pour Noël, bien sûr. Le temps était doux – hiver et printemps sont les plus belles saisons dans cette région ; l'été c'est pour les Hollandais, l'automne pour la mousson. Sortie tranquille dans le parc, bavardages légers. D'habitude on me demandait où je voulais aller. Pas cette fois, ah bon ? distraction sans importance. En arrivant près de la plage, j'ai découvert dans les branches d'un certain pin une guirlande et trois boules qui avaient fait le voyage de trois cent kilomètres. C'était mon premier Noël loin de chez moi, ce n'était pas le plus cafardeux.

Un peu languissant, hein ? Ça l'était pour moi aussi. Le prochain épisode remuera davantage.


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