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25 mai 2007 5 25 /05 /mai /2007 00:03

Vint la fin de l'été. Jusque là j'avais pensé, tout naturellement et sans prendre la peine de vérifier, tant c'était évident, que je serais de retour pour la rentrée de septembre, en 5ème. S'embêter pendant les vacances, passe encore, mais l'école c'est sacré, c'est mon métier, c'est la vraie vie. Bon élève, je vous dis. Il a bien fallu réaliser mon erreur.d'appréciation (sur le planning, voyons, pas sur l'école !) : j'en prenais pour au moins jusqu'à l'hiver, mais peut-être que… Tendre mensonge pour adoucir la vérité, entretenir l'espérance. J'ai pleuré à chaudes larmes, un bon coup qui terminait mon enfance et épuisait le réservoir pour de nombreuses années.

La vie a repris, la bienfaisante routine. Longues journées immobiles, avec les discussions sur tout et rien, sur la gastronomie hospitalière, sur la technique de fabrication des maquettes. Nous avons tous construit à cette époque des escadrilles et des flottilles complètes – mais sans peinture, prohibée depuis une marée polychrome dans un lit, peu de temps auparavant. Occuper ses mains et son esprit était d'ailleurs le grand souci pour beaucoup : pas question d'étaler tout son barda sur une vaste table et de fouiller dans le tas à la recherche de la petite pièce indispensable. Je crois que nous sommes tous devenus très forts dans l'art d'exploiter au mieux un espace réduit.

Avec le sommet d'ennui qu'était la sieste du début d'après-midi. Tout le monde sur le balcon si le temps était clément, tous les lits bien alignés, chacun une "patte" (un petit rectangle de toile) sur les yeux, et personne ne parle ! Je me rappelle qu'en faisant subrepticement glisser la fichue patte j'apercevais, en haut d'un eucalyptus voisin, une touffe de feuilles dansant dans la brise. Au gré du vent elle se faisait petit chien ou bonhomme, elle me tenait compagnie. Malgré les chuchotis frauduleux que permettait la bienveillante surdité sélective des surveillantes, on finissait toujours par dormir. C'était bien le but. Et j'aime beaucoup les eucalyptus.

Avec l'heure du courrier. Je recevais souvent des lettres, d'écritures que j'aimais lire, visiteuses de papier. Il faut écrire aux malades plutôt que de s'apitoyer sur  leur triste condition , leur parler de la vie qui va, leur donner des nouvelles de leur vrai monde, leur dire qu'on y veille sur leur place.

Avec la récréation qu'était la toilette du soir : on était enfin délié un moment, et des lits chargés de trois ou quatre loupiots ravis de s'asseoir, escortés à l'occasion de gardes du corps en chaise roulante, partaient en tourisme dans les couloirs jusqu'à la salle de bain.

Avec la séance de rééducation quotidienne, tous les matins. Autre trajet pendant lequel on pouvait s'asseoir quelques minutes, autre sortie des quatre murs infranchissables. Allongé sur le dos, le ventre ou le côté (quel luxe !), pédalages, ciseaux, battements, ronds de jambes variés : il s'agissait de rester musclé en prévision du jour où l'on reviendrait à la verticale. Beaucoup plus plaisant qu'un cours de gym : pas de chronomètre, pas de compétition autre qu'avec soi-même. Tenir dix, puis quinze, puis vingt pédalages, les faire de plus en plus lentement, de plus en plus près du sol. Il suffisait d'être consciencieux, et ça c'était mon rayon. En outre, le spectacle était varié : chacun travaillait selon ses besoins. Le septicémique reprenait de la capacité pulmonaire en soufflant dans un spiromètre, bouteille remplie d'un liquide couleur de menthe, c'était très joli. D'autres apprenaient à marcher sur un pied, puis deux : ils me prouvaient que mon tour viendrait, j'observais leur technique. De ma vie je n'ai pris aussi régulièrement de l'exercice ! J'en ai gardé des abdominaux inattendus dans une silhouette d'intellectuel efflanqué (pour autant, restons clair : une tablette de chocolat est un régal, pas un muscle).

Avec les cours, car des professeurs venaient quelques jours par semaine. Des conditions rêvées : une classe de cinq ou six élèves, aucun risque de les voir filer dans tous les coins de la salle – du préceptorat, ou peu s'en fallait. Entre la rééducation et la sieste, l'absence évidente de dessin, travaux manuels, musique (et gym !) les horaires étaient réduits, mais le travail avançait, aussi bien pendant les cours qu'en dehors : trop heureux de pouvoir s'occuper, chacun faisait ses devoirs avec intérêt.

J'étais spécialement gâté de ce point de vue-là : les chers Frères des Écoles Chrétiennes avaient vu venir l'arrivée des maths dites  modernes  ( dites  modernes : il ne s'agissait que de passer d'un siècle et demi de retard à soixante-dix ans). Le très remarquable frère directeur, ingénieur des Mines de Paris et vocation tardive, était parfaitement compétent en la matière et, à côté du programme officiel, avait introduit une initiation à ce qu'on pressentait du futur programme. Je ne sais pas si  blocs logiques  et  fiches Galion  vous disent quelque chose ? En tout cas, l'année précédente, j'y avais mordu à plein. Je trouvais ça simple, logique, assez joueur et il était extrêmement agréable d'observer le désarroi de l'entourage voire, vanité suprême, de piger plus vite que certains profs. Continuant de suivre son élève à distance, ce directeur me faisait passer les fiches de l'année. Je les bûchais dans mon coin, en toute conscience et sans perdre pied (façon de parler…). Cela m'a renforcé dans l'habitude de ne pas lâcher une question avant d'avoir compris moi-même.

Même système pour l'initiation au latin. J'étais entré en 6e en septembre 1968, juste après certain mois de mai qui avait entraîné, en toute première urgence, la suppression du latin en 6e. Croyez-moi ou non, mais j'en avais été horriblement déçu : je VOULAIS apprendre le latin, d'abord pour le plaisir d'apprendre (curieux gamin, tout de même), ensuite pour pleinement comprendre Astérix, dont j'étais un lecteur de la première heure. Et donc, là aussi rosa, rosa, rosam, rosae… au soleil plutôt que les courageux GI's combattant les fourbes Japonais, histoires laissées sans regrets à d'autres. Le surfer d'argent, ça je ne disais pas non…

Il n'y avait pas de cours d'allemand – il y aurait eu vraiment trop peu d'élèves – on m'avait donc inscrit au CNTE (aujourd'hui CNED) pour l'année. Les devoirs envoyés en temps et en heure revenaient corrigés un peu plus tard, comme autant de lettres supplémentaires et bienvenues. Je n'ai bien sûr jamais vu mon professeur, j'ai même oublié son nom, mais je l'aimais autant que les autres. S'il me lit : merci. Et il y avait la radio scolaire, intense distraction. Tout seul sur mon bord de mer, travaillant à mon rythme, j'ai acquis l'accent impeccable que ne m'auraient pas donné des semaines de laboratoire de langues.

Il n'y avait pas de cours d'allemand mais il y avait un prof d'anglais. On m'avait proposé d'assister aux cours, histoire de ne pas être ignare lorsque j'aborderais une seconde langue. C'était bien vu, mais le scrupule idiot de ne pas être à la hauteur pour cause de train pris en marche, le sentiment confus d'un avantage indû sur ceux qui ne commenceraient que l'année suivante, combiné au léger (et tout aussi idiot) dédain des germanistes pour une langue réputée trop facile, une langue de flemmards, m'avaient retenu.

J'ai manqué quelque chose.

Il n'y avait pas de cours d'allemand mais il y avait une prof d'anglais, souriante, jeune et fraîche, adepte fidèle de la mode du moment – qui était à la minijupe, bénie soit-elle.

* étonnement ravi * Oh dis donc, elle s'est assise sur le bureau !
* fol espoir * Elle avait une culotte ?
* déception profonde * J'ai pas pu voir…

Un lit d'hôpital est à peu près à la hauteur des hanches d'un adulte, on l'oublie quelquefois, et la position allongée n'engendre pas forcément la myopie. Les bons principes fermaient mes chastes oreilles un peu scandalisées, la pure curiosité scientifique les entr'ouvrait. Les garçons sont moins précoces que les filles, c'est connu (grr) mais, à onze ans, ça fermentait déjà sérieusement. En outre, en 5ème à cette époque non mixte, un petit citadin studieux était plus ferré sur les subtilités de l'accord du participe que sur celles de la reproduction humaine – un peu plus sur celle des paramécies et des oursins, mais c'est vraiment très différent.

Ils ont tout de même fait des progrès en anglais.


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