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20 octobre 2007 6 20 /10 /octobre /2007 21:36

Article en vrac.


L'informatique est mon métier (ou à peu près), elle n'est pas ma vocation ni l'amour de ma vie.

Lorsque je m'y suis mis l'unité de mesure était, pour les données, l'octet, voire le kilo-octet quand c'était vraiment très gros. L'infini commençait bien avant le méga-octet.

Pour les matériels, l'unité de mesure était l'électroménager : une unité centrale = plusieurs frigos. Un lecteur de bandes =  un frigo. Un disque dur = une machine à laver. Une perfocarte ou une imprimante = trois machines à laver, gazouillant comme des mitrailleuses lourdes. Toute cette tôle, ce cuivre et ce plastique vendus plus cher que leur poids d'or.

Pour les temps de réponse, c'était la journée : transpirer un temps certain sur son programme Fortran, déposer le bac de cartes (ben oui : des cartes en carton, perforées – il existe autre chose ?) à l'entrée de la salle des machines. Le lendemain, revenir récupérer un épais listing de résultats – soudoyer l'opérateur avec une bière peut faire gagner quelques heures.

En mode normal, 90 fois sur 100, ça plante : chercher l'erreur de programmation qui rend le programme incompréhensible pour la machine.

En mode anormal, 9 fois sur 100, ça marche mais ne donne pas les résultats attendus : chercher l'erreur de raisonnement qui rend le programme inutile. Naturellement, les corrections commencent par vous renvoyer à l'étape précédente.

En mode exceptionnel, 1 fois sur 100, ça marche et les résultats sont corrects. Lutter contre l'intense sentiment de vide qui vous envahit alors  : que faire maintenant ?

Un monde à part, de gens qui se comprenaient entre eux mais fournissaient de louables et sincères efforts pour instruire le néophyte. Le néophyte souffrait de plusieurs infirmités : il parlait et écrivait le français (pas eux), il parlait et écrivait l'anglais (pas eux), les maths l'avaient habitué à connaître un sujet ou à n'en pas parler (pas … non, rien).

Faisons la part du pur venin dans ce qui précède … Une des grosses difficultés restait tout de même le vocabulaire. Pour forger le lexique de cette discipline jeune, les Américains n'ont pas eu notre réflexe gréco-latin, ils ont repris des termes simples, voire imagés.  Hardware  n'est que notre brave  quincaillerie . Pour lire un fichier sans pouvoir le modifier, on se sert d'un  browser  – qu'est-ce à dire ?  To browse  signifie, tout simplement,  flâner ,  se promener . Je suis un  browser  de Paris …

Une certaine structure de données s'appelle un  stack , une autre un  heap . L'une est une  pile  : même pas une pile électrique mais la pile d'assiettes dont le distributeur de la cantine ne présente que celle du sommet. Notez d'ailleurs que la première pile électrique, celle de Volta, était bien un empilement de rondelles de feutre et de métal … Quant à l'autre structure, c'est un  tas  …

Un très joli exemple est celui du  bug  dont vous connaissez peut-être l'histoire. Un bug, hors informatique, est simplement une bestiole nuisible et pas très propre, souvent un cafard. Les premiers ordinateurs construits à la fin de la guerre (pour finir la guerre – celle-là, du moins…), l'ENIAC en particulier, sont antérieurs à l'invention du circuit intégré et l'on se servait de lampes, dont la durée de vie est bien plus faible. Dans la quantité de lampes utilisées, l'une ou l'autre finissait toujours par griller, d'où erreur de calcul et relance du programme. Une lampe, ça chauffe. Une pièce remplie de lampes, ça chauffe beaucoup. Cette douce température attirait à travers le plancher les cafards en quête d'un peu de douceur dans un monde impitoyable. Impitoyable et traître : le cafard énamouré venu se blottir près de sa loupiote était très vite cramé par elle. D'où court-circuit, décès tragique du cafard et, souvent, de la lampe : y a (y avait) un bug !

Un tel vocabulaire ne pouvant impressionner le profane, on a préféré importer directement les mots anglais. Au moins sont-ils franchement et nettement obscurs sans explications : on comprend ou non, on ne comprend pas de travers. La francisation hâtive, compte tenu des échanges constants de termes entre les deux langues et des dérives de sens, est beaucoup plus pernicieuse : hors informatique, un  editor  n'est pas tout à fait un  éditeur  comme Gallimard ou Plon, c'est un rédacteur en chef. Le rôle exact d'un  éditeur de texte  m'est longtemps resté peu clair ….

Autre exemple cocasse,  a port  (printer port) rapidement rendu par  un port  (port imprimante).  Port  avec des bateaux ? C'est évidemment idiot, bien que le terme anglais ait aussi ce sens-là.  Port  comme manière de porter, comme dans  port de tête  ? Encore plus idiot. Peut-être faut-il comprendre une porte ? Mouais, c'est moins pire, mais pourquoi ne pas parler d'une banale  prise  ou d'un  connecteur  ? Pas possible, le terme anglais désigne aussi des choses immatérielles : un  port de communication  est quelquefois une zone de mémoire. En fait,  a port  se traduit aussi par  un sabord  ou  un hublot  – on reste dans les choses de la navigation, mais c'est plus clair : une ouverture dans la coque pour faire communiquer l'intérieur et l'extérieur, autrement dit un  point d'accès  : vague mais pas faux. N'empêche … un sabord d'imprimante, c'est Haddock qui aurait été content !

On atteint, en matière de recommandations officielles, un sommet de sottise et d'impropriété avec le bug, ce terme emblématique : appeler ça  une bogue  pour conserver à tout prix la sonorité du mot, c'est misérable – sauf à vouloir suggérer que la survenue d'un bug provoque un échange de châtaignes ? Certes, la série lexicale se prolonge de manière cohérente avec le  débogueur  qui sert à  déboguer , et ces deux termes ont un peu plus de succès mais je préfère nettement qu'on parle de  déverminer  un programme. Le mot est plus proche des origines et très évocateur…

À l'opposé, deux termes du monde de la micro et d'Internet sont de remarquables exemples de retour au sens d'origine.  Avatar  , dans le langage courant, a fini par désigner une mésaventure dans une longue série. Gros contresens : ce mot sanscrit désigne une incarnation du dieu Vishnou, et c'est bien le rôle qui échoit à l'avatar informatique du participant à une discussion électronique. Jésus est-il un avatar de Dieu ? ce sera le thème de notre prochain concile.

Ce contresens est pardonnable, après tout : les mots sanscrits sont rares en français. Le deuxième exemple est plus subtil, il s'agit de l'  icône . On sait plus ou moins que le radical grec a à voir avec les images et les illustrations :  iconographie , par exemple. On sait aussi qu'une icône est, dans le christianisme orthodoxe, une peinture religieuse composée dans un style immédiatement reconnaissable. Mais le rapport avec une interface graphique ? Une icône de la Vierge n'est pas une simple image pieuse, moins tarte que les Thérèse de Lisieux ou Saint-Sébastien fabriqués en série qu'on trouve autour de Saint-Sulpice. Le peintre d'icônes, lorsqu'il peint, y met une ferveur toute spéciale, si bien que l'icône, d'une certaine façon, est la Vierge, participe de sa nature. Ne chatouillez pas trop un théologien catholique ou réformé là-dessus, il vous parlerait vite d'idolâtrie (littéralement,  culte des images ) et c'est très mal vu depuis au moins le Veau d'Or ! L'icône informatique est exactement cela : un symbole qui donne directement accès au symbolisé.

Bill Gates ajoutera-t-il une musique céleste à la prochaine version de Windaube ? Ça va être gai …

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