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26 novembre 2006 7 26 /11 /novembre /2006 01:00

Article à tiroirs, soyez patient.


Jeudi dernier, aux États-Unis, on fêtait Thanksgiving,  l'action de grâces , en mémoire des premières moissons faites sur le sol américain, à l'automne de 1621, par les Pères Pèlerins, les Pilgrim Fathers. Ils étaient une centaine, venus à bord du Mayflower. À ce repas fondateur les colons avaient invité les Wampanoag – qui les avaient sauvés de la famine l'hiver précédent. Européens et natifs avaient partagé du maïs et de la dinde, oiseau local qui traverserait l'Atlantique plus tard. Histoire édifiante et prometteuse.


Amsterdam est une belle et attachante ville, vous ne m'aviez pas attendu pour le savoir. On y trouve beaucoup de choses : des canaux, des vélos, des coffee shops pour s'esquinter les neurones, des dames compétentes et peu couvertes pour soigner la solitude masculine, mais aussi des musées et même des restaurants convenables et chaleureux.

Parlons un peu de musées. Le plus connu est évidemment le Rijksmuseum. Il le mérite largement, je vais donc vous parler d'un autre, le Musée Amstelkring  Ons'Lieve Heer op Solder  (Le Bon Dieu au Grenier).

C'est une solide maison bourgeoise du  Siècle d'Or , le XVIIe, exactement semblable à toutes les vieilles maisons d'Amsterdam si ce n'est qu'elle se trouve tout près du quartier chaud – les serviables dames, mais nous les laisserons tranquilles dans la suite. Déçu ? Perplexe ? Et Dieu dans tout ça ? Pour y comprendre quelque chose, il nous faut un tout petit rappel historique.

Les Provinces-Unies (et protestantes), emmenées par Guillaume le Taciturne, se soulevèrent contre la domination espagnole (et catholique) en 1568. La guerre, avec son accompagnement habituel de trêves, d'alliances, de traîtrises, de massacres, devait durer jusqu'en 1648 – soit quatre-vingts ans. Au passage, comme il était à prévoir, le culte catholique fut proscrit aux Pays-Bas. Et, comme il était à prévoir, il subsista des catholiques aux Pays-Bas. Vous me voyez peut-être venir, mais attendez encore un peu.

En 1661 Jan Hartman, prospère négociant amstellodamois, acquit dans sa quarantaine la fameuse maison donnant sur le canal.

Tout se visite, et c'est très beau : la pièce de réception avec son impressionnante cheminée à colonnes torses, la chambre sur le canal, tranquille et intime, l'ancienne cuisine du XVIIe et la cuisine  moderne  du XIXe… On est frappé par la petite taille des pièces : Amsterdam est construite sur pilotis et l'espace pour bâtir y a toujours été très mesuré. Il n'est donc pas question de gaspiller la place, et les escaliers tiennent de l'échelle de meunier bien plus que de l'escalier de Chambord. Comment a-t-on fait entrer le mobilier ? Toutes les maisons d'Amsterdam, même les plus récentes, sont ornées à leur pignon d'une solide poutre équipée d'un crochet ou d'une poulie pour faciliter les déménagements !

Jan Hartman était catholique, un de ses fils se destinait même à la prêtrise. Ayant logé son négoce au rez-de-chaussée, sa famille au premier, ses domestiques au second… il aménagea le grenier en église – clandestine, puisque la messe était proscrite.

C'est un lieu étonnant : en parcourant la maison par les fameux escaliers raides, et après les beaux appartements du premier étage, on découvre au second une chambre aveugle qui servait peut-être à loger le prêtre (mais ce n'est pas certain) puis, au pied d'un ultime escalier, un petit bénitier fixé au mur. J'en ai vu de toutes sortes, mais celui-ci était le premier à côté duquel je lisais un mode d'emploi. Compréhensible puisque les visiteurs ne sont pas supposés connaître toutes les finesses du rituel apostolique et romain, mais surprenant tout de même…

En haut des marches, on arrive tout simplement dans… dans une église baroque. Complète. L'autel bien sûr, un vrai autel surchargé de moulures, avec son tableau que l'on peut changer selon les circonstances. Saint Paul et Saint Pierre, grandeur nature. Une collection complète de vaisselle liturgique : ostensoir, ciboire, calice, encensoir, pyxide… en argent ou en vermeil finement travaillé. Le confessionnal, aménagé dans deux placards contigüs. Il y a même un orgue et sa soufflerie, venus de France. Et tout cela escamotable en cas de visite indésirable.

Étonnant, je l'ai déjà dit. Mais l'objet le plus émouvant, en tout cas le plus révélateur, se découvre à la fin du parcours. C'est un simple plan, très soigné, de la ville telle qu'elle était à l'époque. Il y figure toutes les églises clandestines – et il y en avait un certain nombre.

Ce n'est pas le travail d'historiens contemporains. Non, c'est un plan d'époque. Dressé par qui ? Dressé par de zélés citoyens calvinistes, qui le remirent aux édiles pour qu'ils missent fin au scandale. Lesquels édiles, considérant leur responsabilité d'élus et les devoirs de leur foi, considérant aussi que tous ces papolâtres étaient la discrétion même et faisaient marcher le commerce, prirent la décision qui s'imposait : ne rien faire.

Dans l'Europe de ce temps-là, dans une ville et un pays qui n'avaient leur liberté que depuis quinze ans à peine, ce refus d'une vengeance facile est exceptionnel : la tolérance hollandaise n'est vraiment pas un cliché. Et même dans le monde actuel, je ne sais pas si cette attitude est la plus répandue.


Rien donc de surprenant à voir affluer de toute l'Europe vers les Pays-Bas tous ceux qui ne professaient pas exactement la foi requise par leurs princes. Dans le lot se trouvait un petit groupe de puritains anglais.

Allez, encore un peu d'Histoire. L'Église d'Angleterre (Église anglicane) n'est pas née de divergences théologiques mais de la volonté de Henry VIII de pouvoir trancher à sa guise les liens du mariage avec ses épouses successives – et parfois les épouses, aussi. Nulle réforme ou Réforme là-dedans : l'Église anglicane, surtout dans ses débuts, est très proche du catholicisme, si ce n'est qu'elle reconnaît l'autorité du souverain d'Angleterre plutôt que celle de l'évêque de Rome.

Les puritains au protestantisme exigeant ne pouvaient qu'être mal à l'aise face à ce papisme sans pape, et finirent par chercher un lieu plus accueillant en Hollande. Ils le trouvèrent non pas à Amsterdam, mais à Leyde.

Fort bien, mais où est l'Amérique dans l'affaire ?

Dans ceci que, après quelques années passées dans les polders, nos Anglais estimèrent que décidément les Bataves n'étaient pas des réformés sérieux – peut-être bien les avaient-ils un peu agacés, par-dessus le marché. Ce qui décida la communauté à tenter sa chance vraiment plus loin.


Découvrir ce crochet par Leyde après la visite de l'Amstelkring m'a beaucoup frappé : pour réussir à se mettre à dos un peuple pareil, les Pères Pèlerins devaient être de fieffés emmerdeurs – les futurs États-Unis étaient mal barrés.

Face aux colons, aux aventuriers, aux épidémies, les Wampanoag avaient peut-être leur chance mais là, c'était fichu.

Les Wampanoag finirent par être anéantis en 1676. Histoire édifiante et triste.


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