Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
22 juillet 2009 3 22 /07 /juillet /2009 01:00

Un  croquis  un peu spécial, il tient davantage de la conférence que de la  chose vue . Mais il est né d'une observation de piéton, alors…


Il y avait déjà une salamandre dans ce blog, une presque vraie venue de sa mare, un peu grosse peut-être ? en tout cas une zoologique.

Aux abords de la fontaine Saint-Michel, dans une vieille rue tranquille raccourcie, comme tant d'autres, par les travaux d'Haussmann, on peut découvrir celle-ci :

Elle est héraldique et finement sculptée. Pour peu qu'on ait tourné dans les châteaux de la Loire on reconnaît sans peine la bébête totémique de François Ier. Et puis ? Sorti de Marignan 1515, des coups de bourre avec Charles Quint, de l'ordonnance de Villers-Cotterêts, mes souvenirs sont aussi flous que les vôtres. Je sais aussi qu'il n'a pas tellement résidé à Paris, ne s'engageant à revenir au Louvre que pour amadouer les bourgeois qu'il avait besoin de taxer lourdement. S'il y avait vraiment eu un palais royal dans ce secteur, je crois tout de même que je le saurais et que ce serait indiqué quelque part.

Donc c'est pas lui, donc – déduction brillante – cherchez la femme. Autre énigme : la maison au portail ainsi orné est ancienne, c'est vrai, mais à vue de nez plutôt du XVIIIème siècle – pas vraiment la Renaissance.

Dans ces cas-là, la Providence porte un nom : Jacques Hillairet,  Connaissance du vieux Paris , ouvrage de science inépuisable réédité (pour pas très cher) chez Rivages. Ledit ouvrage nous enseigne qu'ici, avant la maison actuelle qui est bien du XVIIIe siècle (chuis content), s'élevait l'hôtel dit  de la Salamandre  (c'est inattendu), hôtel faisant partie du logis de la duchesse d'Étampes.

Certainement une tendre amie du souverain mais il demeure une grosse question : Étampes, sympathique sous-préfecture de l'Essonne (91), un duché ? On n'était pas encore sous Louis XV, les titres féodaux signifiaient encore quelque chose : un duché comme Bretagne, Bourgogne ou Lorraine, était un État pratiquement indépendant. Alors, Étampes… Il est temps de combler quelques lacunes béantes.

Avec Hillairet et le Robert des noms propres, et Google en renfort, on ne craint personne. Anne de Pisseleu d'Heilly * fait les gros yeux aux potaches ricanants * était de pauvre et vieille noblesse picarde, née en 1508 : 7 ans à Marignan, 18 lors du retour de François Ier après le traité de Madrid de 1526. Explication : le grand (pas loin de 2 mètres) beau gosse s'était constitué prisonnier après le désastre de Pavie, l'année précédente :  Tout est perdu, fors l'honneur . Le Habsbourg, dur en affaires, n'avait pas relâché son royal casse-pieds sans garanties : les deux premiers fils de François prennent sa place et y resteront presque quatre ans, le paiement de la rançon ayant tardé – les Valois et l'argent, ça n'a jamais été simple. Nous retrouverons bientôt ces deux loupiots.

Mais revenons à papa qui rentre au pays et aperçoit la belle Anne. Coup de foudre, un peu beaucoup préparé par maman de Savoie qui souhaitait écarter la maîtresse en titre, Françoise de Foix, soupçonnée de liens blâmables avec le Connétable de Bourbon – lequel Connétable, dernier féodal vraiment puissant, avait tourné sa veste au profit de Charles Quint, quelques années plus tôt, essentiellement dans l'espoir de soustraire ses vastes domaines à l'appétit royal. Vous avez dit panier de crabes ?

La jouvencelle, ainsi épaulée, n'a aucun mal à faire oublier la  vieille  Françoise de Foix, de treize ans son aînée. Mais toute ancienne que soit sa noblesse, tout roi que soit François, la situation fait tiquer : son homme est veuf et père de famille, tout de même. Et puis il est roi. Elle a donc besoin d'un mari et l'équation est difficile : pas question d'un cocher, il faut un noble de la vieille roche. Mais c'est susceptible, ces aristocrates : lequel acceptera, et à quel prix, l'emploi de cocu appointé ? Car il s'agit bien de cela.

On découvre enfin l'oiseau rare, Jean de Brosse, comte de Penthièvre : son père avait été proscrit et, par le fait, complètement ruiné, le fils ne pouvait être trop regardant. En 1532 (il aura tout de même fallu six ans de chasse de têtes) il trouve dans la corbeille de mariage ses terres bretonnes et une nomination de gouverneur du Bourbonnais – avec prière de prendre sa charge au sérieux. Le Bourbonnais c'est, pour aller vite, Vichy et l'Allier : beau, prospère, le seigneur en titre ne risquait pas de râler (le Connétable, vous suivez ?) et c'est loooooiiiiin de Paris et du Val de Loire. Quel crève-cœur pour un jeune marié…

Deux ans plus tard, sans aucun doute pour le remercier de l'excellence de son gouvernement, son supérieur hiérarchique lui confie le comté d'Étampes que, pour l'occasion, il érige en duché : voilà Jeannot duc d'Étampes et de Chevreuse et sa charmante épouse, duchesse. Ce duché de complaisance subsistera tout de même presque deux siècles pour ne revenir dans le domaine royal qu'en 1712, à la fin du règne de Louis XIV (tiens, un Bourbon) qui s'y connaissait un peu en maîtresses, lui aussi.

J'étais heureux, renseigné sur ma vieille pierre après quelques recherches, mais l'histoire ne s'arrête pas là…


Le portrait de la duchesse est de François Clouet, celui du duc de Jean Clouet, son père. Tous deux se trouvent à Chantilly, au musée Condé.


Archives