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13 juillet 2014 7 13 /07 /juillet /2014 18:46

Les hommes disent que le temps passe, le temps dit que les hommes passent, si l'on croit un sage anonyme et bien pratique pour épicer la conversation. Voyons ça.


Il y a un an ou deux j'ai perdu ma montre. Ce n'était pas seulement un événement désagréable. Combien d'hommes de mon âge portent-ils encore la montre de leur première communion ? Le plus souvent, montre d'enfant, elle dort dans un tiroir ou un coffre à côté de la médaille de baptême – et de l'alliance du mariage rompu si l'on n'est pas rancunier.

Celle-ci avait été choisie par mes parents comme le font les gens de goût qui ne crient pas misère ni ne roulent sur l'or : simple, belle, hors mode, inusable. Elle a parfaitement rempli sa part du contrat, faisant hausser un sourcil appréciateur aux horlogers à qui je la confiais tous les dix ans pour un dépoussiérage, étonnant mon encore un peu gamine un jour de remontage distrait entre deux métros :  qu'est-ce que tu fais à ta montre ?   c'est une montre préhistorique, je t'expliquerai  (je crois qu'elle a fini par comprendre, sans attendre une explication jamais venue).

Il ne fallait que penser à changer régulièrement un bracelet qui s'usait malgré le soin mis à choisir un cuir costaud, phoque ou requin (comme si j'allais porter du croco ou du lézard, pfff… ). Cette fois-là j'ai tardé, toujours autre chose à faire (et quoi donc, grand Dieu ?), le bracelet m'a lâché sans bruit un jour où je marchais d'un bon pas, je n'ai rien remarqué. La montre est tombée quelque part dans de l'herbe épaisse, j'espère seulement que quelqu'un la porte aujourd'hui. Le fruit de ma négligence, comme souvent. Aucune excuse, comme toujours.

Bien sûr j'ai remplacé l'absente mais, même si la nouvelle venue tient elle aussi quarante-cinq ans, ça ne sera plus pareil. Le temps passe.


Il y a deux mois j'ai perdu ma mère – mes associations d'idées ne sont pas toujours de bon goût, je sais, et je ne développerai pas la comparaison. Elle me revient sans prévenir, lorsque je pense à lui lire tel article inaccessible à ses yeux usés, lorsque je me promets de lui raconter tel changement survenu en ville, lorsque je râle contre ses manies…

Elle m'est revenue plus vivement aujourd'hui, et je m'y attendais, en cherchant l'un des multiples papiers requis pour finir de l'enterrer. Je suis tombé sur un tas de marques de son organisation de quasi-aveugle, sur d'anciennes cartes de visite à mon nom, affectueusement conservées et disséminées dans tous ses sacs et ses poches, je suis tombé sur des photos, sur d'anciens petits cadeaux. Même en s'y attendant, on est facilement submergé. Le temps passe.

Je cherchais aussi, et cherche encore, des papiers nécessaires pour vendre l'appartement, désormais bien trop grand, où j'ai grandi, où je loge pour le moment, où elle a vécu plus de cinquante ans. J'ai trouvé plus commode et pas vilain ailleurs, ne vous inquiétez pas.

Ce n'est pas de ne plus vivre là qui me manquera, c'est de savoir que je n'y reviendrai plus, comme je l'ai fait de loin en loin depuis mes vingt ans. Que voulez-vous, j'ai un cordon ombilical en chêne ciré craquant sous les pas, en immenses portes centenaires jamais bien fermées.

Les nouveaux propriétaires, une fois trouvés, me proposeront peut-être de venir voir les changements ? J'accepterai leur invitation si elle vient, je crains tout de même de traverser un mauvais moment. Ils auront sûrement posé du double vitrage partout : où seront les vitres anciennes, à bouillons, que j'avais fini par aimer ? Le temps passe.


Allez mon p'tit gars, faut replonger dans les dossiers.

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