Pas de fable charmante aujourd'hui… À lire certains commentaires, certaines questions, la différence entre terminal passif et client (même ultra-léger) n'est pas tout à fait intuitive (voir cet article). Essayons de faire décanter, j'ai dû sauter des pages.
L'essentiel (=ce qui touche à l'essence des choses) : parler de relation client-serveur
n'a de sens qu'entre deux systèmes (deux ordinateurs-et-leurs-programmes
, quelles que soient leurs caractéristiques), deux systèmes qui se partagent le travail. Inversement, dans une relation ordinateur-terminal
, il y a un seul ordinateur : la relation est complètement dissymétrique, l'ordinateur central fait tout et le terminal rien. Relisez ça calmement, repensez à Norbert et sa maman, tout est là.
Autre chose : le mot terminal
, au sens propre, désigne seulement ce qui se trouve en bout de ligne
, sans préjuger de sa nature (écran-clavier ou servo-commande de laminoir) ni de son niveau d' intelligence
. Cependant, dans l'usage courant, terminal
est plus ou moins synonyme de écran-clavier
et de terminal passif
; quand c'est autre chose on prend la peine de le préciser, par exemple PC connecté
ou téléphone de x-ième génération
.
Maintenant, laissons les grands principes.
Rétrospective : depuis les années 80 la population mondiale d'ordinateurs a été multipliée par… je ne sais pas, sans doute plusieurs centaines de milliers. Aujourd'hui la majorité de cette population se compose de micro-ordinateurs. Il y a vingt ans personne n'avait entendu parler de client-serveur
: quand on avait affaire à l' informatique
sur son lieu de travail, c'était sous la forme d'un écran-clavier relié à l'ordinateur central. Le micro-ordinateur, coûteux et qui vous posait un peu là, tournait tout seul dans son coin. Occasionnellement, un programme ( émulateur de terminal
, de l'anglais to emulate, imiter
) le déguisait
en écran-clavier pour accéder à l'ordinateur central.
En à peine une génération (humaine), les rapports se sont renversés. Le terminal passif a presque disparu des entreprises, les applications nouvelles sont en client-serveur. Le particulier moderne avait un Minitel, le pékin moyen achète son ordinateur au supermarché et baigne d'emblée dans du client-serveur. Il fallait expliquer ce qu'un PC changeait par rapport à un écran-clavier, voilà qu'aujourd'hui il faut décrire l'étrange bête qu'est devenu un terminal (passif).
Regardons-y de plus près.
Est-ce qu'un terminal passif peut servir de micro-ordinateur ? Évidemment non, il lui manque un cerveau (=un processeur).
Est-ce qu'un micro-ordinateur peut servir de terminal passif ? Oui, et là il faut être précis.
Le Minitel est (était…) un terminal passif à usage domestique. Vous avez peut-être un programme pour faire du Minitel
? Dans ce cas votre bécane ( intelligente
), lorsque vous accédez au 3615-Cœurs-solitaires par ce programme, est bel et bien vue comme un terminal passif (pas intelligent
pour deux ronds) : le 3615 etc. ignore qu'il a affaire à un micro-ordinateur, n'exploite pas les possibilités propres d'un micro-ordinateur. Ce programme est un émulateur de Minitel, situation évoquée dans la section précédente.
Et le Web, alors ? Depuis peu les fabricants proposent des ordinateurs portables pas très chers, ni très puissants, ni très riches en périphériques et connecteurs : des netbooks, explicitement destinés à surfer sur le Web. Est-ce qu'un netbook ultra-simplifié, voire verrouillé et juste bon à naviguer, sans autres applications, ne pourrait pas être appelé un terminal passif
lui aussi ?
Non. Non parce que ce netbook, même châtré, utilise au moins un programme (sans parler du système d'exploitation) : le navigateur. Est-ce autre chose que du jeu sur les mots ? Oui.
Premier exemple : pour accuser la ressemblance renonçons à la souris, naviguons au clavier : on passe d'un champ à l'autre par la touche de tabulation ou les flèches. Bien. Le champ change de couleur quand on passe dessus, pas vrai ? Un terminal passif ne sait rien calculer : le changement de couleur est donc calculé par l'ordinateur central, qui envoie une nouvelle image de l'écran, et le terminal affiche cette nouvelle image. Avec notre netbook minimal
le serveur ne se rend compte de rien : c'est le navigateur (interne au netbook) qui gère les changements de couleur, il ne demande rien au serveur, zéro octet échangé sur la ligne. Le netbook peut le faire parce que, ordinateur, il est capable de traiter les pressions sur le clavier, alors que le terminal (passif) ne sait que les envoyer sur la ligne.
Deuxième exemple : un .gif animé. Peut-on concevoir une page Web sans adorable petite fée court vêtue faisant pleuvoir des étoiles ? Non, on ne peut pas. La petite fée immobile : mettons 8K. La petite fée animée à, mettons à 10 images/seconde, deux secondes en boucle, pas d'optimisation (on va pas s'embêter avec ces termes techniques, hein ? Faut que ça marche tout seul) : vingt images, le fichier .gif pèsera donc 160K. C'est gros pour une fée à l'air sucré mais on a déjà vu pire. Maintenant comparons :
- petite fée sur un netbook. Le serveur transmet le fichier une fois : 160K, ensuite le processeur du netbook se charge de faire tourner l'animation. Pour peu que la petite fée reste en cache (=dans un coin du netbook) elle ne sera plus retransmise. D'autres netbooks peuvent se connecter au serveur, le serveur passera un exemplaire de la fée à chacun puis il sera tranquille : chaque netbook fera tourner l'animation pour son propre compte. Si un netbook est trop faible pour ça seul son utilisateur est gêné.
- petite fée sur un terminal passif. L'ordinateur central ne transmet pas le fichier : qu'est-ce qu'un terminal peut faire d'un fichier ? Au lieu de ça c'est LUI l'ordinateur central qui bosse : 80K transmis chaque seconde au terminal rien que pour faire bouger cette #*@! de fée, sans compter tous les calculs (chronométrage…). Dix autres, cent autres terminaux se connectent ? 800K, 8M par seconde et dix ou cent fois plus de calculs rien que pour faire gigoter dix ou cent donzelles aux ailes translucides. L'ordinateur central part en vrille très vite. Bilan : cent utilisateurs dans la panade pour un bikini en feuilles de platane.
Conséquence pratique : en réalité on ne s'encombre pas d'une petite fée sur un terminal passif.
Mézalors : le terminal passif est-il complètement démodé ?
L'organisation ordinateur-terminaux subsiste aujourd'hui dans beaucoup d'entreprises. Elle est souvent un vestige suranné ( legacy system
en termes polis) mais dans quelques cas, comme les réservations d'avion (Amadeus) ou l'informatique bancaire, c'est un choix délibéré. Pourquoi ? Ces systèmes sont le véritable outil de production de leurs utilisateurs, ils sont vitaux : le directeur informatique joue sa place en cas de panne grave et la boutique, sa survie. Donc prudence : on ne lâche pas une solution éprouvée seulement parce que la mode a changé.
Pourquoi prudence ? Le client-serveur aurait donc des risques ? Oui : puisqu'il fait intervenir deux systèmes au lieu d'un seul les occasions de panne logicielle, ou simplement de surcharge, se combinent, se multiplient au lieu de seulement s'ajouter. À l'inverse un terminal passif, du fait même de sa simplicité, n'est guère exposé qu'à des pannes physiques : pas d'écran bleu sur un terminal, la frugalité a de bons côtés. Il ne s'agit peut-être que de la différence entre un système fiable à 99% et un système fiable à 99,99%, même pas un pour cent de gain ? Oui, mais on passe de 1% de risque à 0,01% : cent fois moins d'ennuis, cent fois moins d'interruptions, cent fois moins de cavalcades de techniciens, cent fois moins d'argent perdu – on en revient toujours là.
Voilà pourquoi il n'y a pas de petite fée chez Amadeus.
Retournement dialectique : puisque les terminaux passifs sont si sûrs, pourquoi donc les délaisse-t-on ? Qui a tort, qui a raison ? Seulement les amateurs de tout ou rien
. Parce que, lorsque le poste de travail est plus intelligent, plus maniable (hors plantages…), facilite les échanges entre applications (copier/coller, pour ne parler que de ça) on peut faire plus de choses avec, employer des interfaces utilisateurs plus sympathiques (ne serait-ce qu'une souris) et, en définitive, le confier à un utilisateur moins expert. Vous avez déjà vu un blog sur un Minitel ?
(pis j'aime pas les .gif animés de fées, même girondes – pourtant il en existe d'étonnantes.)