Paris, photo, humeurs, un peu de HTML/CSS pour faire sérieux. Feinte innocence et vraie naïveté (ou vice-versa). Encore un blog qui agite ses petits bras en couinant "Viens me lire !"
Mam'zelle est en voyage dans un pays lointain – car hors de la zone euro – mais pas trop – car européen tout de même.
Mam'zelle voyage accompagnée, il y a dans la compagnie un fumeur novice, Mam'zelle écrit un mail à son papa. Tu ne devrais pas bourrer comme un malade, plutôt des petites pincées. Non, malheureux, pas un briquet, des allumettes ! Place-toi plutôt dans l'encognure d'une porte qu'au milieu de la rue. En tout cas mon papa il fait comme ça…
J'imaginais si bien la scène et le malheureux garçon, une veine palpitant au front, finissant par éructer quelque chose comme Mais arrête donc de me faire ch… avec ton paternel !
que j'ai voulu me rendre utile.
D'abord, ma toute charmante, sache qu'il n'est pas de meilleur moyen d'agacer sans recours un homme que de lui chanter les louanges de ton géniteur – jeunes ou moins jeunes gens, il en va de même avec votre irremplaçable mère (personne, cela dit, ne fait d'aussi bonnes pommes de terre sautées que ma môman). Mais, puisque je te l'ai déjà expliqué, j'en infère que tu ne comptes pas envoûter le fumeux jeune homme. Euh, là, mon papa joli, tu pousses un peu. Oh ? Brhhoumm… admettons et revenons aux choses sérieuses.
Cher novice plein de bonne volonté, sache d'abord que fumer la pipe est une habitude détestable, malsaine, mauvaise pour la santé (ceci pour me dédouaner) et fort agréable (ceci pour être sincère).
Sache ensuite que le premier piège réside dans le vocabulaire. Bourrer
évoque un remplissage compact, de bourrer
on passe vite à boucher
et donc à l'infumable. Aussi parlerons-nous simplement de remplir
ce cher fourneau – ce qui ne nous dit pas encore comment procéder. Il faut rendre à Mam'zelle cette justice qu'elle sait observer : en effet, commence par une simple pincée de tabac, que tu laisses tomber au fond du fourneau sans la tasser. Puis une autre, encore une autre… jusqu'au bord du fourneau. Il ne t'échappe pas que la pipe est peu remplie ? Très juste, aussi rajoutes-tu une autre pincée en tassant du bout de l'index, juste de quoi arriver au bord du fourneau. Puis une autre, encore une autre… Quel est le test d'arrêt ? Tire sur ta pipe en cours de remplissage – garde l'air sérieux, ici se créent les réputations d'homme grave et réfléchi – et arrête-toi lorsqu'elle résiste à peine plus qu'une cigarette (je suppose que tu as déjà pratiqué).
Je te sais physicien, tu comprends donc que tu as établi dans le fourneau un gradient vertical de compacité (ou de porosité) de la charge fumable (pour les non-physiciens : c'est plus tassé en haut qu'en bas, voilà tout). L'intérêt de cette disposition t'apparaîtra dans l'étape suivante.
Qui consiste à allumer la pipe. Mam'zelle a ici encore raison (elle est agaçante, crois que je le sais depuis plus longtemps que toi) : pas de briquet, autant que possible. Il y a là de quoi faire chauffer le bois (ou l'écume si tu es fortuné) et cela est un gros péché. Opte donc pour une allumette (je te conseille au passage de les acheter en grosses boîtes de cuisine, quitte à garnir indéfiniment la même petite boîte que tu traîneras dans ta poche). Allume le petit bout de peuplier soufré, laisse la flamme se développer et place-la au-dessus du tabac, mais non à son contact. Aspire : merveille, la flamme descend sur le tabac et l'allume. Promène la flamme au-dessus du fourneau et tire à nouveau, de façon à établir un lit de braise sur toute la surface du tabac ou presque. Si des enfants sont par là, ils diront que tu fais la locomotive
et te trouveront très sympathique, surtout si tu les embauches pour souffler l'allumette au lieu de te brûler les doigts. Ici se créent les réputations d'homme simple et accessible. Bien sûr, évite de toucher le bois (ou l'écume) tandis que tu allumes le tabac. Mesures-tu mieux l'inqualifiable brutalité d'un allumage au briquet ? Pouah ! Procédé de gougnafier, péché.
Tu constateras que les brins de tabac, en s'allumant, se tortillent sous l'effet d'une souffrance indicible et cherchent à s'échapper du foyer. Calme-les en les rabattant du bout de ton fidèle bourre-pipe. Tu peux les voir se tortiller en fixant des yeux le bout de la pipe. Comme tu montreras alors un strabisme convergent des plus comiques, je te recommande de ne procéder à cet examen qu'en présence de témoins fiables – donc sans témoins. Même pas moi papaaaa ? Même pas toi. Pourtant je suis TOUJOURS sage ! C'est bien ce que je voulais dire. Car ici se bousillent les réputations établies à grand-peine.
Te voilà fumant, à petites bouffées avares. À tirer trop fort tu risques de faire chauffer la pipe (t'ai-je dit que cela n'est pas bien ?), donc calme et modération : les enfants se sont lassés, inutile de faire encore la locomotive. En brûlant le tabac se transforme en cendres (quelle surprise) et réduit de volume : tasse-le donc de temps en temps, avec doigté, pour retrouver la résistance d'une cigarette. Ici apparaît l'utilité du gradient de porosité : les cendres et la condensation issues des couches supérieures du fourneau, maintenant brûlées, augmentent la compacité du fond de fourneau. Et si la pipe s'éteint ? Hé bien, tu la rallumes ! (il faut reconnaître qu'à ce stade les enfants, généralement, s'en fichent. Satanés morpions). Mieux vaut une pipe qui s'éteint qu'une pipe qui chauffe.
En procédant ainsi tu passeras entre une demi-heure et une heure de bon temps, selon la capacité de ta pipe, temps au bout duquel ne resteront dans le fourneau que des cendres fines et plus un seul brin de tabac. Vide alors le fourneau. Ne le tape pas contre la semelle de ta chaussure : c'est encore un péché. Utilise la pointe que comporte tout bourre-pipe de bonne naissance. Laisse refroidir ta pipe une vingtaine de minutes. Alors seulement tu pourras la nettoyer, sujet traité dans un autre article de cet excellent blog. Pfffff ! Toi, je ne t'ai rien demandé !