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6 janvier 2008 7 06 /01 /janvier /2008 05:38

Article qui semblera spécieux à certains (je l'admets), rigolo à d'autres (je l'espère), superflu à beaucoup (je m'en fous).


Ne vous fiez pas au titre : je n'ai jamais lu une ligne de Leibniz. Ma seule familiarité, lointaine et très indirecte, avec son oeuvre ne touche que le calcul différentiel, lequel est en effet une invention considérable (coproduction anglo-allemande avec Newton Ltd., Gotlib dépositaire exclusif pour la France). De sa philosophie, comme beaucoup de Français, je ne connais que le mot d'  optimisme  et l'ébouriffante caricature qu'en donne le Candide de Voltaire.

Or, justement…

Or, justement cette dernière semaine de décembre j'ai remis la main sur une vieille édition de poche des romans de Voltaire. Elle offre une succulente préface écrite par Roger Peyrefitte en 1961, où celui-ci raconte comment il amena malgré lui le journal du Vatican à tresser des couronnes à un Voltaire dont il proscrivait la lecture – à elles seules ces quelques pages valent le détour. Mais je n'ai jamais acheté un livre pour sa seule préface, à l'exception d'un très neu-neu recueil de contes et légendes d'Auvergne dont ne surnage que la préface de Vialatte. Vialatte reviendra peut-être dans un autre article, en attendant j'ai retrouvé Arouet le Jeune.

Pardon d'énoncer un lieu commun, mais il faut redire que c'est un régal de lecteur. Voici donc Candide, hébergé par le baron de Thunder-ten-tronck qui  était un des plus puissants seigneurs de la Westphalie, car son château avait une porte et des fenêtres. . Pangloss, le précepteur,  enseignait la métaphysico-théologo-cosmolonigologie.  Théologie pour les nigauds ?  Il prouvait admirablement qu'il n'y a point d'effet sans cause  et que  ceux qui ont avancé que tout est bien ont dit une sottise ; il fallait dire que tout est au mieux.  En vertu de quoi Cunégonde, fille du baron, ayant observé Pangloss donner  dans le petit bois qu'on appelait parc […] une leçon de physique expérimentale à la femme de chambre de [la baronne] , en viendra à penser que  Candide pourrait bien être sa raison suffisante . Le baron chassera Candide avant le plein échange de ces vues philosophiques, et notre héros découvrira le vaste monde.

Il y retrouvera, après quelques aventures grinçantes et avant de nombreuses expériences amères, Pangloss vérolé au dernier degré, puis pendu à Lisbonne pendant le tremblement de terre de 1755. Sans vous raconter tout le bouquin (lisez-le, bien plutôt !), on reverra, au bout d'une série de désastres, Pangloss bien vivant soutenir que  tous les événements sont enchaînés dans le meilleur des mondes possibles , à quoi Candide, toujours déférent envers son maître, répondra cependant qu'  il faut cultiver notre jardin. 

Voui. Pangloss est évidemment un portrait à charge de Leibniz et de son  tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles , la conclusion de Candide respire la résignation désabusée plutôt que la sérénité. On apprend toutes ces choses-là en cours de français, j'aurais été bien incapable de les découvrir tout seul.

Voltaire a du talent, du courage, et la philosophie de Leibniz ne s'en est pas remise. Pourtant, je me demande…

Il faut être très attentif au choix des mots et à leurs différentes significations, d'autant plus trompeuses qu'elles sont voisines. Accoler  optimisme  et  leibnizien  revient à dire, en termes simples :  Leibniz est optimiste .

Qu'est-ce qu'un optimiste ? Au sens courant, le premier qui se présente à l'esprit, l'optimiste voit le bon côté des choses dans le présent, au pire croit qu'elles iront s'améliorant dans le futur :  après la pluie, le beau temps . Le pessimiste, toujours au sens courant, est évidemment à l'opposé :  après le rhume, le coup de soleil  – plus élégamment, le pessimiste tombe de Charybde en Scylla. L'optimiste est un gai compagnon et un gendre idéal, le pessimiste un rabat-joie et un vieux ronchon solitaire. L'optimiste supporte les avanies avec le sourire, le pessimiste sombre dans la dépression au moindre pet de travers.  L'enfant croit au Père Noël, l'adulte, lui, vote  : Desproges était rigolo mais pessimiste, ma pauvre madame Michu, d'ailleurs il en est mort (ce qui, malgré madame Michu, n'est peut-être pas médicalement invraisemblable). Si on est pessimiste on fait plus rien, donc faut être optimiste. Sans quoi comment marcherait le commerce, hein ?

Le bon sens dit que le contraire de  tout va mal  ne peut être que  tout va bien . L'imprudent qui ne pense pas que tout va bien ne peut donc être qu'un vilain pessimiste, bouh. Ah oui mais non, faut voir à voir, c'est pas si simple. Oui mais tout ça c'est des finasseries d'intellectuel qui a du temps à perdre, moi je me contente de mon bon sens dans la vie courante.

Ah oui ? On perd un temps inconcevable grâce aux raccourcis du sens courant, du sens commun, du bon sens – et  gros bon sens  est encore meilleur, et  gros bon sens paysan  l'arme ultime de ceux qui ne sauraient pas traire une vache. Je ne le sais pas non plus, mon pur Parisien de père qui le savait se gardait bien d'idéaliser labourage ou pâturage.

Qu'est-ce qu'un contraire ? Ce qui est faux quand quelque chose est vrai, ce qui est vrai quand cette même chose est fausse ; pas question que les deux soient vrais ensemble ou faux ensemble   c'est vieux comme Aristote. Le contraire de  tout va mal , la négation de ce propos, est donc  il y a au moins une chose qui va bien  – possiblement toutes, mais ce n'est pas obligatoire. Conclusion : le pessimisme n'est pas la négation de l'optimisme. Niveau B-A BA – et dire que ça va passer pour un sommet de subtilité…

Qu'est-ce que le meilleur des (ce qu'on voudra) possibles ? Le meilleur, simplement : tout autre (ce qu'on voudra) est moins bon. Un matheux vous parlerait d'un extremum de la fonction. Est-ce à dire pour autant que ce meilleur est bon ? Non, simplement qu'on ne peut faire que pire. Le 2 en maths que ne dépasse pas le cancre hermétique à la discipline, la pointe à 22 secondes au 100 mètres du fort en thème sont leurs optima respectifs – désespérants records, mais records.

Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ? Pangloss a raison :  ceux qui ont avancé que tout est bien ont dit une sottise . S'il faut vraiment forger un mot prétentieux, on dira que Leibniz est  optimaliste  : ne peut pas mieux faire, que la note soit 2 ou 20. La formule de Leibniz n'affirme pas que ce monde est bon, seulement que ses habitants en tirent le meilleur parti. Tous ses habitants, chacun pour son compte et contrarié par les autres : les humains (qui prennent facilement la grosse tête), Dieu (hors concours), le virus du Sida et la caulerpa taxifolia (trop occupés à proliférer pour philosopher). Au total tout est pour le mieux, ou pour le moins mauvais – ceci n'est pas un jeu sur les mots, juste une reformulation strictement équivalente. Le propos de Leibniz n'est pas Michu-optimiste (mais Pangloss, oui) et ne méritait peut-être pas les flèches de Voltaire – ses admirateurs, intéressés à ce que rien ne bouge, certainement davantage. Rousseau et son homme naturellement bon, ça c'est du Michu-optimisme et on n'a pas fini d'en régler la facture.

Pourtant quelque chose cloche évidemment dans la thèse de Leibniz.

J'avais d'abord pensé que c'était  possibles  plutôt que  meilleur  : pourquoi affirmer que la liste des possibles est close ? Pour le coup, voilà Leibniz pur pessimiste ! Le monde ne fait que changer depuis les origines, même si je ne fais rien pour ou contre : je ne peux m'empêcher d'être né un jour et de mourir un autre, voilà au moins deux changements minuscules. Pourquoi s'interdire de mettre un plus gros grain de sel ? Au moins à petite échelle, parce que je ne suis pas très convaincu par l'évolution macroscopique. Finalement non, ce  possibles  n'est peut-être pas si scandaleux.

Le vrai scandale était si évident que je ne l'ai aperçu que très tard : avant même de déterminer si ce monde est le meilleur, qui peut dire ce qu'est un  bon  monde ? Quelle est la mesure ? Question élémentaire pour un ingénieur ou le physicien que n'était pas Leibniz. L'assertion de Leibniz n'est pas vraie ni fausse, elle est vide de sens. Elle ne pèche pas par excès ou défaut de confiance, mais par inutilité.

En attendant il faut vivre, en s'efforçant de ne gâcher ni sa vie ni celle d'autrui, et voilà bien du travail. Cultiver notre jardin…

commentaires

S
Bravo, c'est un papier sérieux et réfléchi. Comme Huckleberry Finn décrit "Pilgrim's Progress" (dans le roman de Mark Twain): "The statements was interesting, but tough."<br /> <br /> Connaissez-vous la pièce musical "Candide," par Leonard Bernstein?<br /> Ici, M. Pangloss enseigne à ses élèves le principe "le mieux de tous les mondes possibles."<br /> https://www.youtube.com/watch?v=Vmc72fCJivA<br /> <br /> Et ici, Cunégonde fait bonne mine à mauvais jeu avec "Glitter and Be Gay,"<br /> https://www.youtube.com/watch?v=B5pTwRhmRL4 (une parodie à la Chanson de Bijou de Marguerite, "Ah! je ris").
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M
<br /> <br /> Merci :) Mais c'est aussi, je le crains, un papier un peu confus et partant dans tous les sens : un peu de maniaquerie du vocabulaire, un peu d'humeur... Rien d'immortel mais tant mieux s'il vous<br /> a plu !<br /> <br /> <br /> Je connaissais l'existence du Candide de Bernstein mais n'en avais jamais rien entendu. Natalie Dessay, ahhhhhh.... :D<br /> <br /> <br /> <br />
A
Parce que j'ai confusionné Dédé (ah! tu n'y avais pas pensé!) et l'auteur de l'Emile... mes excuses!<br /> <br /> (le fait d'avoir en pensée un ex-ami prénommé Dji-Dji y est peut-être pour quelque chose aussi. Pauvre de moi)
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M
Va, tu es pardonnée... ;-)
A
Je disais donc que "le bon sens est la chose la mieux partagée au monde" d'après Dji-Dji et que "il faut cultuver notre jardin selon Vovo, et je demandais lequel des deux était ironique et c'était uien question à la fois rhétorique et ironique, ce qui fait un double-salchow suivi d'une triple boucle piquée, ce qui n'est pas mal.<br /> <br /> Et pis je concluais en faisant "Ah ah, intellectuel, va!" ce qui se voulait un clin d'oeil rapport à mon dernier billet.<br /> Valà.<br /> ;-)<br /> <br /> PS ne regarde pas, mais je crois que tu as fait une touche, Anthime pour les intimes.
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M
Le monde a perdu quelque chose ! :-)Mais pourquoi Dji-Dji ? J'admets que Re-Re eût été puéril, Né-Né un peu osé, Renato charmant mais trop long ... mais pourquoi Dji-Dji ?PS : tu tiens le registre de mes conquêtes, maintenant ? ? Note que le choix est astucieux et la place de tout repos. Soupir ... :-D
A
Bonjour. Je passais et j'ai pu apprécier votre blog. Je viens de créer ma communauté, qui est basée sur l'information pédagogique diverse. Nature, actualités, sciences, informations, découvertes, littérature, poésie, enfin bref tout pour améliorer notre connaissance. Son nom…"Apprendre et découvrir".Pourquoi cette démarche ? Over-blog nous indique qu'une communauté est un endroit ou tout le monde parle de la même chose, moi je cherche le contraire, à faire un endroit ou chacun puisse parler de ce qu'il aime ou qui le passionne. Si vous voulez nous rejoindre cela serait avec plaisir.(NB:Je ne suis pas un spam comme un ou deux bloggeur ont voulu me faire passer).A oui ,pourquoi ce texte,pour aider le "hasard",certains attendent patiemment ,moi j'essaye d'influencer le destin. Votre serviteur.
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M
Merci de l'offre, cependant la petite estrade que j'arpente en vieux potache cabriolant n'a rien de vraiment pédagogique, ni même informatif. Quant à parler de ce que j'aime, voilà précisément ce à quoi me sert ladite estrade. Peut-être en reparlerons-nous plus tard ?
A
J'avais fait un super commentaire culturé et tout, mais il a été bouffé alors je boude!<br /> Demain. ;-)
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M
Rrrroohhh alleeeeez, fais pas ta chochotte ! :-D

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